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a été donné à ceux de leurs complices qui étaient postés aux Tuileries. Ils étaient sans armes, mais ils avaient reçu chacun 10 cartouches ; on devait leur distribuer des fusils de munition au dernier moment. Un cocher de cabriolet, dont je me sers quelquefois pour mes courses lointaines m’a montré les 10 cartouches et m’a dit qu’il en était et qu’il avait reçu 25 francs pour sa part. Ceci est donc du positif. Il n’a voulu me nommer personne. Le 16e régiment de ligne devait se porter de Rueil et de Courbevoie sur le Louvre, deux régimens d’Issy devaient appuyer le mouvement. Le gouvernement est, dit-on, si troublé des complicités qu’il rencontre dans l’instruction, que le Moniteur d’aujourd’hui ne dit mot. La garde nationale est très mal disposée. Il y a eu beaucoup d’argent distribué.

Mon armurier m’a dit qu’il avait vendu presque tous les pistolets de la fabrique de Liège, qu’il avait dans sa boutique ; que ses confrères en avaient aussi vendu considérablement ; on a acheté également beaucoup de sabres, épées et fusils sur les quais. J’y suis allé hier et j’y ai interrogé à ce sujet un nommé Moreau, marchand de vieilles armes, qui m’a confirmé ce qu’on m’avait dit. La garnison de Soissons est très compromise dans tout ceci ; elle se compose d’un bataillon du 11e régiment d’infanterie légère, les deux autres bataillons de ce régiment sont au château de Ham où ils gardent les anciens ministres. Ce bataillon de 895 hommes est là avec deux batteries du 8e régiment d’artillerie dont l’esprit est ultra-républicain.


2 avril. — J’ai eu la première nouvelle de l’arrivée du choléra à Paris dans la soirée du mardi où il y a eu grande et nombreuse réunion chez nous ; ce fut entre la tasse de thé et la brioche qu’on nous l’annonça ; cela ne nous empêcha pas de prendre de l’un et de manger de l’autre. On n’a pas la moindre frayeur ou tout au moins si peu, que diners, raouts, spectacles, bals, concerts, tout va son train sans interruption ; la seule précaution qu’on prenne et qui est même devenue à la mode, c’est de porter sur soi des sachets de camphre que les belles dames offrent aux jeunes cavaliers et de petites cassolettes avec une pastille odoriférante composée de menthe et de camomille ; il est de bon genre de porter cette petite boite dans la poche de son gilet et de la respirer de temps en temps. Il n’y a que très peu de maisons qui changent leur régime. Chez nous, l’eau à la glace,