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8 000 hommes au château et qu’ils étaient cachés dans les caves et dans l’orangerie.

On a ajouté d’abord peu de foi à ce bruit ; cependant, il est arrivé à la Cour plus d’excuses pour cause d’indisposition qu’à l’ordinaire. Au bal, la disproportion entre le nombre d’hommes et celui des femmes était frappante ; celles-ci étaient beaucoup moins nombreuses que les hommes. Tout ce monde avait l’air fort inquiet, et cette inquiétude, loin de diminuer, fut augmentée par les nouvelles qui arrivaient du dehors, annonçant des attroupemens et des charges de la troupe. La disparition de gardes nationaux et d’officiers de ligne, qui étaient rappelés d’urgence à leur corps, mit le comble aux anxiétés ; les pauvres mères ne savaient si elles devaient s’en aller ou bien rester ; en quittant les Tuileries, elles s’exposaient à se trouver dans l’émeute et empêchées de rentrer chez elles. Lady Granville était dans ce cas, puisque des charges se faisaient dans la rue Saint-Honoré et aux Champs-Elysées. Elle suivit donc mon conseil et se résigna à rester, au grand contentement de ses filles. Mais laissons parler un de mes correspondans qui, ordinairement, est bien informé. Voilà ce qu’il me dit sur les nouvelles du jour :

« Moi, qui suis sceptique, j’ai peine à croire tout ce que l’on débite sur la conspiration du 1er février. Ce que je vais avoir l’honneur de vous dire, venant de personnes dignes de foi, je vous avoue que je ne sais plus que penser. — Le coup serait manqué et ajourné ; les auteurs de la conspiration restent inconnus, ils sont à Paris. Un journal, La Tribune, affirme qu’un maréchal de France est mêlé au complot dans lequel plus de 10 000 individus étaient enrôlés. On leur avait dit qu’il s’agissait seulement de proclamer un gouvernement provisoire à la tête duquel on aurait vu le duc de Bellune, Martignac, et peut-être Chateaubriand. Quatre courriers étaient prêts pour la Duchesse de Berry, pour l’empereur d’Autriche, pour le roi de Prusse et pour l’empereur de Russie. Huit conjurés, qui étaient au bal et qu’on me nommera demain, devaient faire monter Louis-Philippe en voiture et on devait l’emmener à Vincennes. On aurait pénétré aux Tuileries par la Galerie des Tableaux ; on avait déjà la clef. »

A ces détails, je suis en mesure d’ajouter qu’à dix heures du soir seulement, la police a appris par deux transfuges ce qui allait arriver. Les chefs de la conspiration l’ont su, et contre-ordre