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faveur. Si les brèves conversations qu’il eut avec le jeune rhéteur lui révélèrent quelque chose de son caractère, il n’en conçut peut-être pas une trop bonne opinion. Ce tempérament exalté d’Africain, ce vague à l’âme, ces mélancolies stériles, ces perpétuelles hésitations devant la foi, tout cela ne pouvait que déplaire à un Romain positif comme Ambroise, à un ancien fonctionnaire habitué au commandement.

Quoi qu’il en soit, Augustin, par la suite, ne s’est pas permis le moindre reproche à l’adresse d’Ambroise. Au contraire, il le comble partout des plus grands éloges, il le cite sans cesse dans ses traités, il se retranche derrière son autorité. Il l’appelle son « père. » Une fois, pourtant, à propos de l’abandon spirituel, où il se trouvait à Milan, il lui est échappé comme une plainte discrète, qui semble bien viser Ambroise. Après avoir rappelé avec quelle ardeur il cherchait la vérité, en ce temps-là, il ajoute : On aurait donc eu alors, en moi, un disciple on ne peut mieux disposé et plus docile, s’il s’était trouvé quelqu’un pour m’instruire.

Cette phrase, qui contraste si fort avec tant de passages laudatifs des Confessions sur saint Ambroise, parait bien l’expression de l’humble vérité. Si Dieu se servit d’Ambroise pour convertir Augustin, il est probable qu’Ambroise, personnellement, ne fit rien, ou pas grand’chose, pour cette conversion.


IV. — PROJETS DE MARIAGE

A mesure qu’il se rapproche du but, Augustin semble, au contraire, s’en éloigner. Telles sont les démarches secrètes du Dieu qui prend les âmes comme un voleur : il fond sur elles à l’improviste. Jusqu’à la veille du jour où le Christ viendra le prendre, Augustin est obsédé par le monde et par le souci d’y être en bonne place.

Bien que les homélies d’Ambroise l’excitent à réfléchir sur cette grande réalité historique qu’est le Christianisme, il n’y distingue encore que des lueurs confuses. Il a renoncé à son scepticisme superficiel, sans croire à rien de précis. Il se laisse aller à une sorte d’agnosticisme fait de paresse d’esprit et de découragement. Quand il descend au fond de sa conscience, c’est tout au plus s’il y retrouve la croyance à l’existence de Dieu et à sa providence, notions tout abstraites, qu’il est incapable de