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aussi, — l’attitude de saint Ambroise vis-à-vis d’Augustin, que ne le fait, ici, Augustin lui-même. Lorsqu’il écrit cette page, les événemens qu’il raconte sont déjà lointains. Mais il est chrétien, il est évêque à son tour ; il comprend maintenant ce qu’il ne pouvait comprendre alors. Il sent bien, au fond, que si Ambroise s’est dérobé, c’est que lui, Augustin, n’était pas mûr pour engager avec un croyant une discussion profitable : l’humilité du cœur et de l’esprit lui manquait. Mais, sur le moment, il dut prendre les choses d’une tout autre manière, et éprouver quelque peine, pour ne pas dire davantage, de l’indifférence apparente de l’évêque.

Qu’on se représente un jeune écrivain d’aujourd’hui, assez rassuré sur son mérite, mais inquiet de son avenir, qui vient demander les conseils d’un illustre aîné : il y a quelque chose de cela dans la démarche d’Augustin auprès d’Ambroise, sauf que le caractère en est beaucoup plus grave, puisqu’il s’agit non de littérature, mais du salut d’une âme. A cette époque-là, même lorsqu’il consultait Ambroise en matière sacrée, ce qu’Augustin voyait surtout en lui, c’était l’orateur, c’est-à-dire, à ses yeux, un émule plus âgé... Il entre. On l’introduit, sans l’annoncer, comme tout le monde, dans le cabinet du grand homme. Celui-ci ne se dérange pas de sa lecture pour le recevoir, ne lui adresse même pas la parole... Que pouvait penser d’un tel accueil le professeur de rhétorique de la ville de Milan ? On le devine assez clairement à travers les lignes des Confessions. Il se disait qu’Ambroise, comme évêque, avait charge d’âmes, et il s’étonnait que l’évêque, si grand seigneur qu’il fût, ne s’empressât nullement de lui prodiguer les secours spirituels. Et, comme il ignorait encore la charité chrétienne, il se disait aussi que, sans doute, Ambroise ne se jugeait pas de taille à se mesurer avec un dialecticien de sa force et que d’ailleurs il connaissait mal les Écritures (il avait dû, en effet, dès son élévation si brusque à l’épiscopat, s’improviser une science hâtive). S’il se refusait à la controverse, Augustin en concluait qu’il avait peur d’être embarrassé.

Saint Ambroise ne se doutait pas, à coup sûr, de ce qui se passait dans l’esprit du catéchumène. Il planait trop haut, pour se préoccuper de misérables blessures d’amour-propre. Dans son ministère, il était tout à tous, et il aurait cru déroger à l’égalité chrétienne, en accordant à Augustin un traitement de