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Rome, il avait écouté les médisances des païens et de ses amis manichéens contre les papes et leur clergé. On s’égayait aux dépens des clercs mondains et captateurs d’héritages. On se racontait que le pontife romain, serviteur du Dieu des pauvres, menait un train de vie fastueux et que le luxe de sa table rivalisait avec celui de la table impériale. Le préfet Prœtextatus, païen opiniâtre, disait malignement au pape Damase : « Nommez-moi évêque de Rome et je me fais tout de suite chrétien ! »

Assurément, les médiocres raisons humaines sont impuissantes à déterminer comme à expliquer une conversion sincère. La conversion est un fait divin. Mais des raisons humaines ordonnées en vue de ce fait, par une Volonté mystérieuse, peuvent au moins y préparer une âme. En tout cas, il n’est pas indifférent qu’Augustin, arrivant à Milan, avec des pensées d’ambition, y ait vu le catholicisme entouré d’un tel prestige en la personne d’Ambroise. Cette religion, qu’il avait méprisée jusque-là, lui apparaissait comme une religion triomphante, qu’il faisait bon servir.

Si des considérations pareilles arrêtaient l’attention d’Augustin, elles n’avaient aucune prise sur sa conscience. Bon pour un intrigant de Cour de se convertir par intérêt. Lui, il voulait tout ou rien, — et le bien le plus indispensable à ses yeux, c’était la certitude de la vérité. Quoiqu’il n’y crût plus guère et qu’il ne pensât point la trouver chez les catholiques, il assistait néanmoins aux homélies d’Ambroise. Il y vint d’abord en amateur de beau langage, avec la curiosité un peu jalouse d’un homme de métier qui en regarde un autre faire ses preuves. Il tenait à juger par lui-même si l’orateur sacré était à la hauteur de sa réputation. La substantielle et solide éloquence de cet ancien fonctionnaire, de cet homme d’État qui était avant tout un homme d’action, domina immédiatement le rhéteur frivole. Sans doute, celui-ci ne trouvait point, dans les sermons d’Ambroise, le brillant ni les caresses de parole qui l’avaient séduit autrefois dans ceux du manichéen Faustus ; mais ils avaient une onction qui l’attirait. Augustin écoutait l’évêque avec plaisir. Cependant, s’il aimait à l’entendre parler, il continuait à dédaigner la doctrine qu’il prêchait.

Puis, peu à peu, cette doctrine s’imposa à ses méditations : il s’aperçut qu’elle était plus sérieuse qu’il ne l’avait pensé jusque-là, du moins qu’elle était défendable. Ambroise avait