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bien des protestations. Pâques se passa sans encombre. Mais, à ; lendemain de l’Ascension, le peuple d’Hippone avait coutume de célébrer ce qu’il appelait « la Réjouissance » par des buveries et des ripailles traditionnelles. La veille, jour de la fête religieuse, Augustin, intrépidement, parla contre « la Réjouissance. » On interrompit le prédicateur. Quelques-uns crièrent qu’on en faisait autant à Rome, dans la basilique de Saint-Pierre. À Carthage on dansait autour de la tombe de saint Cyprien. Au nasillement des flûtes, parmi les coups sourds des tambourins, des mimes se livraient à des contorsions obscènes, tandis que les assistans chantaient, en claquant des mains… Augustin savait tout cela. Il déclara que ces abominations avaient pu être tolérées autrefois, pour ne pas décourager les païens de se convertir, mais que, dorénavant, le peuple, devenu tout entier chrétien, devait s’en abstenir. Enfin, il trouva des accens d’une éloquence si touchante que son auditoire fondit en larmes. Il crut le procès gagné.

Le lendemain, tout fut à recommencer. Des meneurs avaient travaillé la foule, tellement qu’une émeute était à prévoir. À l’heure de l’office, Augustin, précédé de son évêque, se rendit néanmoins à la basilique. Au même moment, les donatistes banquetaient dans leur église, qui était à proximité. Derrière les murs de la leur, les catholiques entendaient le vacarme du festin. Il fallut les adjurations les plus pressantes du coadjuteur pour les empêcher d’imiter leurs voisins. Les derniers murmures se calmèrent, et la cérémonie s’acheva dans le chant des hymnes sacrées.

Augustin l’emportait. Mais le conflit en était venu au point qu’il avait dû menacer le peuple de donner sa démission, et, comme il l’écrivait à Alypius, de « secouer sur lui la poussière de ses vêtemens. » Tout cela était de bien mauvais augure pour l’avenir. Lui qui considérait déjà la prêtrise comme une épreuve, il voyait approcher l’épiscopat avec terreur.


LOUIS BERTRAND.