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négligence du costume, observer la mesure en tout, voilà ce que voulait Augustin. Le poète Rutilius Numatianus, qui attaquait alors, avec une sombre ironie, les moines sordides et lucifuges, n’aurait pu qu’admirer, dans le monastère d’Hippone, une décence et une sobriété qui rappelaient l’es mœurs antiques, en ce qu’elles avaient de meilleur. Pour la table, pareille modération. On y servait habituellement des légumes, et quelquefois de la viande, quand il y avait des malades ou des étrangers. On y buvait un peu de vin, contrairement aux prescriptions de saint Jérôme, qui condamnait le vin comme un breuvage diabolique. Lorsqu’un moine manquait à la règle, il était privé de sa part de vin.

Par un reste d’élégance chez Augustin, — ou peut-être parce qu’il n’en possédait pas d’autres, — les couverts, dont il se servait, étaient d’argent. En revanche, la vaisselle et les plats étaient en terre cuite, en bois, ou en albâtre vulgaire. Très sobre dans le boire et le manger, Augustin, à table, ne paraissait attentif qu’à la lecture ou à la discussion. Peu lui importait ce qu’il mangeait, pourvu que cette nourriture n’excitât point la sensualité. Il avait coutume de répéter aux chrétiens qui affichaient un rigorisme pharisaïque : « C’est la pureté du cœur qui fait la pureté des alimens. » Enfin, avec son perpétuel souci de charité, il proscrivait, au réfectoire, toute médisance dans les conversations. En ce temps de luttes religieuses, on se dénigrait férocement entre clercs. Augustin avait fait inscrire, sur le mur, un distique ainsi conçu :


Celui qui se plaît à déchirer la vie des absens,
Qu’il sache qu’il est indigne de s’asseoir à cette table.


« Un jour, dit Possidius, quelques-uns de ses amis intimes, de ses collègues même dans l’épiscopat, ayant oublié cette sentence, il les reprit vivement et s’écria, tout ému, qu’il allait effacer ces vers du réfectoire, ou se lever de table et se retirer dans sa cellule. J’étais présent avec plusieurs autres, quand ce fait s’est passé. »

Ce n’étaient pas seulement des médisances, des dissensions intérieures qui troublaient la tranquillité d’Augustin. Il cumulait les fonctions de prêtre, de supérieur de couvent et d’apôtre. Il lui fallait prêcher, instruire les catéchumènes, batailler contre les dissidens. La ville d’Hippone était très agitée, pleine d’hérétiques, de schismatiques, de païens. Ceux du parti de Donat