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plus précieux, et, pour l’encadrer, un de ses plus beaux paysages.

C’est le soir surtout, au moment du crépuscule, que ce paysage prend toute sa valeur et tout son charme signifiant. Les rougeurs du couchant découpent le profil noir des montagnes, qui dominent la vallée de la Seybouse. Glacée de reflets, la rivière pâle descend avec lenteur vers la mer. Le golfe, immensément, resplendit, pareil à une plaque de sel étrangement rosée. Dans cette atmosphère sans vapeurs, la netteté des rivages, l’immobilité figée des lignes ont quelque chose de saisissant. C’est comme un aspect inconnu et virginal de la planète. Puis, les constellations s’allument, avec un éclat, une matérialité hallucinante. Le Chariot, couché au bord de l’Edough, semble un chariot véritable, en marche à travers les vallons du ciel. Une paix profonde enveloppe la campagne agricole et pastorale, où montent, par intervalles, les aboiemens des chiens de garde...

Mais on peut le placer n’importe où, aux environs d’Hippone, ce monastère d’Augustin : partout la vue est aussi belle. De tous les points de la plaine, gonflée par l’amas des ruines, on aperçoit la mer : une large baie, arrondie en courbes molles et suaves comme celle de Naples. Tout autour, un cirque de montagnes : les étages verdoyans de l’Edough, aux pentes forestières. Le long des chemins en corniche, de grands pins sonores, où passe la plainte éolienne du vent marin. Azur de la mer, azur du ciel, nobles feuillages italiques, c’est un paysage lamartinien, sous un soleil plus brûlant. La gaité des matins y est un rafraîchissement pour le cœur et les yeux, lorsque la lumière naissante rit sur les coupoles peintes des maisons et que des voiles d’ombre bleue flottent entre les murs, éclatans de blancheur, des ruelles montantes.

Parmi les orangers et les oliviers d’Hippone, Augustin aurait pu couler des jours heureux, comme à Thagaste. La règle, qu’il avait instituée dans son couvent et à laquelle il se sou- mettait le premier, n’était ni trop relâchée, ni trop austère, — telle enfin qu’elle devrait être pour des hommes qui ont vécu dans la culture des lettres et les travaux de l’esprit. Nulle affectation d’excessive austérité. Augustin et ses moines portaient des vêtemens et des chaussures très simples, mais convenables à un évêque et à des clercs. Comme les laïques, ils se couvraient du byrrhus, manteau à capuchon, qui semble bien l’ancêtre du burnous arabe. Tenir le juste milieu entre la recherche et la