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écoutait, confiant dans son incognito. Mais le secret de sa présence avait transpiré. Tandis que l’évêque prêchait, des gens le désignèrent. Aussitôt, des énergumènes se saisirent de lui, et le traînèrent au pied de la chaire épiscopale, en criant :

— Augustin prêtre ! Augustin prêtre !

Telles étaient les habitudes démocratiques des églises d’alors. On en voit assez les inconvéniens. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’Augustin aurait risqué sa vie, en résistant, et que l’évêque aurait provoqué une émeute, en lui refusant la prêtrise. En Afrique, on ne badine pas avec les passions religieuses, surtout lorsque la politique et l’intérêt les exaspèrent. Au fond, l’évêque était enchanté de cette brutale capture, qui allait lui valoir un si éminent collaborateur. Séance tenante, il ordonna le moine de Thagaste. Et ainsi, comme dit son élève Possidius, le futur évêque de Guelma, — « cette lampe brillante qui recherchait les ténèbres de la solitude, fut placée sur le lampadaire... » Augustin, qui reconnaissait, dans cette aventure, le doigt de Dieu, s’inclina donc devant la volonté populaire. Néanmoins, il se désespérait et il pleurait à l’idée de la charge qu’on voulait lui imposer. Alors, quelques assistans, se méprenant sur le sens de ses larmes, lui dirent, pour le consoler :

— Oui, tu as raison ! La prêtrise est indigne de tes mérites. Mais tu peux être certain que tu seras notre évêque !

Augustin savait tout ce que la multitude entendait par là et ce qu’elle exigeait de son évêque. Lui qui rêvait de sortir du monde, il s’effrayait des soucis pratiques qu’il lui faudrait assumer. Et la partie spirituelle de son administration ne l’effrayait pas moins. Parler de Dieu ! Annoncer la parole de Dieu ! il se jugeait indigne d’un si haut ministère. Il y était si mal préparé ! Pour remédier, autant qu’il le pouvait, à ce défaut de préparation, il aurait souhaité qu’on lui accordât un peu de loisir jusqu’à la Pâque suivante. Dans une lettre adressée à Valérius et, sans doute, destinée à être rendue publique, il exposa humblement les raisons pour lesquelles il demandait un délai. Elles étaient si justes et si honorables pour lui que, très probablement, l’évêque céda. Le nouveau prêtre reçut l’autorisation de se retirer dans une maison de campagne, voisine d’Hippone. Ses ouailles, qui se défiaient de leur pasteur, ne lui auraient pas permis de s’éloigner trop.

Le plus tôt possible, il entra en fonctions. Peu à peu, il devint