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À Thagaste, il vivait en joie. Chaque matin, en s’éveillant devant les pins de la forêt, embuée par la rosée de l’aube, il pouvait dire, de tout son cœur : « Mon Dieu, donne-moi la grâce de demeurer ici, sous ces ombrages de paix, en attendant ceux de ton paradis ! « Mais on continuait à l’épier. Une foule de gens avaient intérêt à ce que cette lumière ne restât pas cachée sous le boisseau. Peut-être qu’un piège lui fut délibérément tendu. En tout cas, il eut l’imprudence de quitter sa retraite pour aller à Hippone. Il s’imaginait y être en sûreté, parce que, cette ville étant pourvue d’un évêque, on n’y avait aucun prétexte pour le faire consacrer malgré lui.

Un habitant d’Hippone, un agent d’affaires de l’Empereur, implorait son assistance spirituelle. Des doutes, prétendait-il, le retardaient encore sur la voie de la conversion totale. Augustin seul serait capable de l’aider à en sortir. Celui-ci, escomptant déjà une nouvelle recrue pour son monastère de Thagaste, se décida à se rendre à l’appel de ce fonctionnaire.

Or, s’il y avait un évêque, à Hippone, — un certain Valérius, — les prêtres manquaient. En outre, Valérius prenait de l’âge. Grec d’origine, il savait mal le latin et ignorait totalement le punique : gros empêchement, pour lui, dans ses fonctions de juge, d’administrateur et de catéchiste. La connaissance des deux langues était indispensable à un ecclésiastique, en un pays, comme celui-là, où la majorité de la population rurale ne parlait que le vieil idiome carthaginois. Tout cela nous prouve que le catholicisme se trouvait en mauvaise posture dans le diocèse d’Hippone. Non seulement, il y avait disette de prêtres, mais l’évêque était un étranger, mal familiarisé avec les usages d’Afrique. L’opinion réclamait, à sa place, un homme du pays, jeune, actif, suffisamment muni d’érudition et d’éloquence pour tenir tête aux hérétiques, comme aux schismatiques du parti de Donat, — et aussi suffisamment habile pour gérer les intérêts de l’église d’Hippone et surtout pour les faire prospérer. N’oublions pas qu’à cette époque aux yeux de la multitude des misérables, le christianisme est d’abord la religion qui donne du pain. Dès ce temps-là, l’Église s’employait de son mieux à résoudre l’éternelle question sociale.

Pendant le séjour d’Augustin à Hippone, Valérius fit, dans la basilique, un sermon, où il déplorait justement ce manque de prêtres, dont souffrait la communauté. Mêlé aux auditeurs, Augustin