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inquiète amitié franchit sans cesse les murs de sa cellule, pour voler vers les absens chers à son cœur. Il faut qu’il s’épanche auprès de ses amis, qu’il leur livre ses méditations : ce nerveux, ce malade, qui dormait mal, passait une partie de ses nuits à méditer. L’argument qu’il a trouvé dans son insomnie d’hier, ses amis le sauront. Il les comble de ses lettres. Il écrit à Nébride, à Romanianus, à Paulin de Nole, à des inconnus et à des gens illustres, en Afrique, en Italie, en Espagne, en Palestine. Un moment viendra où ses lettres seront de véritables encycliques, qu’on lira dans tout le monde chrétien. Il écrit tellement qu’il est souvent à court de papier. Il n’a pas assez de tablettes pour y consigner ses notes. Il en demande à Romanianus. Ses belles tablettes, celles d’ivoire, sont épuisées : il s’est servi de la dernière pour une lettre de cérémonie, et il s’excuse, auprès de son ami, de lui écrire sur un méchant bout de vélin.

Avec cela, il s’occupe des affaires de ses concitoyens. Augustin, à Thagaste, est un personnage. Les bonnes gens du municipe n’ignorent point qu’il est éloquent, qu’il a des relations étendues, qu’il est au mieux avec les puissances. Ils réclament sa protection ou son entremise. Peut-être même l’obligent-ils à les défendre en justice. Ils sont fiers de leur Augustin. Et, comme ils ont peur que quelque ville voisine ne leur ravisse leur grand homme, ils font la garde autour de sa maison : ils l’empêchent de trop se montrer dans le voisinage. D’accord avec eux, Augustin, lui aussi, se cachait le plus possible, redoutant qu’on ne le fit évêque, ou prêtre malgré lui. Car, en ce temps-là, c’était le danger que couraient les chrétiens riches, ou de talent. Les riches donnaient leurs biens aux pauvres, quand ils étaient entrés dans les ordres. Les hommes de talent défendaient les intérêts de la communauté, ou lui attiraient d’opulens donateurs. Pour toutes ces raisons, les églises besogneuses ou mal administrées guettaient, comme une proie, le célèbre Augustin.

Malgré cette surveillance, ce perpétuel tracas d’affaires, les travaux de toute sorte dont il se chargeait, il goûtait à Thagaste une paix qu’il ne retrouvera jamais plus. On dirait qu’il se recueille et qu’il rassemble toutes ses forces, avant le grand labeur épuisant de son apostolat. Dans cette campagne numide, si verdoyante et si fraîche, où mille souvenirs d’enfance l’entouraient, où il ne pouvait faire un pas sans rencontrer l’image toujours