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et de leur souffler son ardeur de charité. A Thagaste, il discute avec ses frères, avec son fils Adéodat. Il est toujours le maître : il en a conscience, mais, dans ce rôle périlleux, que d’humilité ! La conclusion du livre du Maître, qu’il écrivit alors, c’est que toutes les paroles de celui qui enseigne sont inutiles, si le Maître intérieur n’en révèle la vérité à celui qui écoute.

Sous le manteau bourru du moine, il continue donc son métier de rhéteur. Il est venu à Thagaste avec l’intention de se retirer du monde et de vivre en Dieu, — et le voilà qui dispute, qui disserte et qui écrit plus que jamais ! Le monde le poursuit et l’obsède jusque dans sa retraite. Il se dit que, là-bas, à Rome, à Carthage, à Hippone, il y a des gens qui pérorent sur le forum et dans les basiliques, qui chuchotent dans les conciliabules secrets, et qui séduisent de pauvres esprits désarmés contre l’erreur. Au plus vite, il faut confondre ces imposteurs, les démasquer, les réduire au silence. De tout son cœur Augustin se jette à cette tâche, où il excelle. Il attaque, surtout, ses anciens amis les manichéens. Il écrit plusieurs traités contre eux. A voir l’acharnement qu’il y met, on juge de la place que le manichéisme avait tenu dans sa pensée, et aussi des progrès de la secte, en Afrique.

Cette campagne fut même la cause de tout un renouvellement dans sa manière d’écrire. Afin d’atteindre les lecteurs les plus incultes, il se mit à employer la langue populaire, ne reculant pas devant un solécisme, lorsque ce solécisme lui paraissait indispensable pour expliquer sa pensée. Ce dut être, pour lui, une cruelle mortification. Jusque dans ses derniers écrits, il tint à prouver que nulle élégance de langage ne lui était étrangère. Mais sa véritable originalité n’est pas là. Quand il fait du beau style, sa période est lourde, empêtrée, souvent obscure. Au contraire, rien de plus vif, de plus clair, de plus coloré, et, comme nous disons aujourd’hui, de plus direct que la langue familière de ses sermons et de certains de ses traités. Cette langue-là, il l’a vraiment créée. Avec son besoin d’éclaircir, de commenter et de préciser, il a senti combien le latin classique est malhabile à décomposer les idées et à en traduire les nuances. Et ainsi, dans un latin populaire, déjà tout près des langues romanes, il a ébauché la prose analytique, qui est l’instrument de la pensée occidentale moderne.

Non seulement, il bataille contre les hérétiques, mais son