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En ces années-là, l’évêque de Milan pouvait passer, en effet, pour un homme heureux selon le monde. Il était l’ami du très glorieux et très victorieux Théodose ; il avait été le mentor du jeune empereur Gratien, récemment assassiné, et, bien que l’impératrice Justine, dévouée aux Ariens, intriguât contre lui, il était encore très écouté dans le Conseil de Valentinien II, un petit empereur de treize ans, que son entourage de païens et d’Ariens essayait d’entraîner dans une réaction anticatholique.

Juste au moment où Augustin arrivait à Milan, il put se rendre compte, à l’occasion d’un débat retentissant, du crédit et de l’autorité, dont jouissait Ambroise.

Deux ans auparavant, Gratien avait fait enlever de la Curie la statue et l’autel de la Victoire, alléguant que cet emblème païen et ses accessoires n’avaient plus leur raison d’être dans une assemblée en majorité chrétienne. Du même coup, il retirait, avec leurs immunités, les revenus des collèges sacerdotaux et en particulier ceux des Vestales, supprimait, au bénéfice du fisc, les allocations accordées pour l’exercice du culte, confisquait les biens des temples et défendait aux prêtres de recevoir en legs des propriétés immobilières. C’était la séparation complète de l’Etat et de l’ancien culte. La minorité païenne du Sénat, le préfet Symmaque à sa tête, protesta contre cet édit. Une délégation fut envoyée à Milan pour faire entendre à l’Empereur les doléances des païens. Gratien refusa de la recevoir. On pensa que son successeur, Valentinien II, étant plus faible, serait plus accommodant. Une nouvelle députation sénatoriale vint lui apporter une requête rédigée par Symmaque, véritable morceau oratoire, que saint Ambroise lui-même admire ou feint d’admirer. Cette harangue, lue dans le Conseil impérial, y produisit une vive impression. Mais Ambroise intervint de toute son éloquence. Il réclama le droit commun pour les païens comme pour les chrétiens, et c’est lui qui l’emporta. La Victoire ne fut pas rétablie dans la Curie romaine, pas plus que les biens des temples ne furent restitués.

Cet avantage remporté par le catholicisme dut frapper vivement Augustin. Il devenait clair que, désormais, c’était la religion d’État. Et, d’autre part, lui qui enviait si fort les heureux du monde, il pouvait constater que la religion nouvelle apportait à ses adeptes, avec la foi, la richesse et les honneurs. A