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l’erreur. Mais il sait qu’il est homme, que la vie d’ici-bas est un voyage parmi d’autres hommes faibles comme lui, et il s’accommode aux nécessités du voyage. Oui, sans doute, pour le chrétien, parvenu au suprême renoncement, qu’est-ce que la poésie, qu’est-ce que la science, « qu’est-ce que tout cela qui n’est pas éternel ? » Pourtant, ces lettres et ces sciences charnelles sont autant d’échelons ménagés à notre faiblesse, pour l’élever insensiblement jusqu’au monde intelligible. Prudent conducteur des âmes, Augustin ne veut pas brusquer l’ascension. En ce qui concerne la musique, il serait peut-être encore plus indulgent, pour elle, que pour les autres arts : car « c’est par les sons que l’on saisit le mieux quel est, dans toute l’espèce de mouvemens, le pouvoir des nombres ; et leur étude, nous conduisant ainsi par degré jusqu’aux secrets les plus intimes et les plus élevés de la vérité, découvre, à ceux qui l’aiment et la recherchent, la Sagesse et la Providence divines en toutes choses… » Il y reviendra toujours, à cette musique tant aimée, il y reviendra malgré lui. Sévèrement, il se reprochera, plus tard, le plaisir qu’il goûte aux chants d’église : le vieil instinct persistera quand même. Il était né musicien. Il le restera jusqu’à son agonie.

À ce moment de sa vie, s’il ne rompt pas tout à fait avec les arts et les lettres profanes, c’est, avant tout, pour des raisons de convenance pratique. Une autre préoccupation perce encore à travers ces traités didactiques : celle de prouver aux païens qu’on peut être chrétien, sans être, pour cela, un barbare et un illettré. En face de ses adversaires, la position d’Augustin est extrêmement forte. Aucun d’eux n’était en mesure de rivaliser avec lui ni pour l’étendue des connaissances, ni pour la diversité heureuse, ni pour la richesse des dons intellectuels. Tout l’héritage antique, il l’avait entre ses mains. Il pouvait dire aux païens : « Ce que vous admirez chez vos écrivains et vos philosophes, je l’ai fait mien. Le voilà ! Reconnaissez sur mes lèvres l’accent de vos orateurs !… Eh bien ! tout cela, que vous prisez si haut, moi je le méprise ! La science du monde n’est rien sans la sagesse du Christ ! »

Évidemment, la rançon de cette culture universelle, — peut-être, sur certains points, trop embrassante, — Augustin l’a payée : il a souvent abusé de sa science, de sa virtuosité oratoire et dialectique. Qu’importe, si, même dans ces excès, il n’est guidé que par le souci des âmes, par le désir de les édifier