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lui, de quoi remplir toutes les minutes de sa vie. Mais ce n’est pas en vain que, pendant près de vingt ans, on a enseigné, disserté, discuté, écrit. Augustin a beau s’être converti : à Thagaste, comme à Cassiciacum, il se souvient toujours de l’école. Pourtant, il fallait en finir une bonne fois. Le nouveau moine fit ce qu’on pourrait appeler son testament de professeur.

Il acheva alors ou il revit des traités didactiques, qu’il avait commencés à Milan et qui embrassaient tous les arts libéraux : la grammaire, la dialectique, la rhétorique, la géométrie, l’arithmétique, la philosophie, la musique. De tous ces livres, il ne termina que le premier, le traité sur la grammaire, — les autres n’étaient que des résumés : ils sont, aujourd’hui, perdus. En revanche, nous avons conservé les six livres sur la Musique, commencés aussi à Milan, et qu’il acheva, comme en se jouant, pendant ses loisirs de Thagaste. Ce sont des dialogues entre lui et son élève, le poète Licentius, sur la métrique et la versification. Mais nous savons par lui-même qu’il se proposait de pousser plus loin son œuvre, et, dans une seconde partie, d’écrire sur la mélodie, c’est-à-dire sur la musique proprement dite. Il n’en trouva jamais le temps : « quand une fois, dit-il, le fardeau des affaires ecclésiastiques me fut imposé, toutes ces douces choses me sont tombées des mains. »

Ainsi le moine Augustin ne se repose de la prière et de la méditation, que pour s’occuper de musique et de poésie. Il a cru devoir s’en excuser : « En cela, je n’ai eu qu’une intention. Sans vouloir arracher brusquement les jeunes gens ou les personnes d’un autre âge, que Dieu a douées d’un bon esprit, aux idées sensibles et aux lettres charnelles, auxquelles il leur est difficile de ne pas être attachées, — j’ai essayé, par les leçons du raisonnement, de les en détourner peu à peu, et, par l’amour de l’immuable vérité, de les attacher au Dieu, seul maître de toutes choses... Celui qui lira ces livres, verra que, si j’ai fréquenté les poètes et les grammairiens, c’est plutôt forcé par les nécessités du voyage, que par le désir de me fixer au milieu d’eux... Telle est la vie que j’ai choisie pour marcher avec les faibles, n’étant pas très fort moi-même, plutôt que de me précipiter dans le vide avec des ailes encore débiles... »

Encore une fois, comme tout cela est humain, et sage, — et modeste aussi ! Augustin n’a rien d’un fanatique. Nulle conscience plus droite que la sienne, plus obstinée même à déraciner