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suite, il s’y rendit populaire, en donnant aux pauvres le peu qui lui restait de l’héritage paternel, selon le précepte évangélique. En quoi consista au juste ce dépouillement volontaire, il ne nous l’a point dit entérines suffisamment explicites. Il parle d’une maison et de quelques petits champs, paucis agellulis, — qu’il aurait aliénés. Pourtant, il ne cessa point d’y demeurer, tout le temps qu’il fut à Thagaste. Il est probable qu’il vendit, en effet, ces quelques lopins de terre, qu’il possédait encore, et qu’il distribua le produit de la vente aux indigens. Quant à la maison, il l’aurait cédée, avec ses dépendances, à la Communauté catholique de sa ville natale, à condition d’en conserver l’usufruit et de recevoir, en échange, ce qui était nécessaire à sa subsistance et à celle de ses frères. A cette époque, beaucoup de personnes pieuses procédaient ainsi, lorsqu’elles donnaient leurs biens à l’Église. Les biens d’Église étant intangibles et exempts d’impôts, c’était une manière détournée de se soustraire soit aux rapines du fisc, soit aux confiscations arbitraires ou aux expropriations à main armée. En tout cas, les âmes détachées du monde et avides de repos trouvaient, dans ces donations, un moyen héroïque de s’épargner le souci d’une fortune ou d’une propriété à gérer. Quand ces fortunes et ces propriétés étaient considérables, les généreux donateurs éprouvaient, nous dit-on, une véritable délivrance à s’en débarrasser.

La question matérielle une fois réglée, Augustin s’occupa d’aménager, dans sa maison, un monastère à la ressemblance de ceux qu’il avait vus à Rome et à Milan. Son fils Adéodat, ses amis Alypius et Evodius, Sévère, qui devint évêque de Milève, partageaient sa solitude. Mais il y avait sûrement, auprès de lui, d’autres solitaires, auxquels il fait allusion dans ses lettres. Leur règle était sans doute encore un peu lâche. Les frères de Thagaste n’étaient point soumis à la claustration. Tout se bornait, pour eux, à des jeûnes, à un régime spécial, à des prières et à des méditations en commun.

Dans cette retraite à demi rustique (le monastère se trouvait aux portes de la ville), Augustin était heureux : il avait enfin réalisé le projet qui lui tenait au cœur depuis si longtemps. Se recueillir, prier, étudier l’Écriture surtout, l’approfondir jusque dans ses parties les plus secrètes, la commenter avec cette ferveur et cette piété, dont l’Africain a, de tout temps, entouré ce qui est écrit, — il lui semblait qu’il y avait là, pour