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III. — LE MOINE DE THAGASTE

Près d’une année s’écoula avant qu’Augustin se remît en route. On s’explique mal ce retard. Pourquoi différa-t-il ainsi son retour en Afrique, lui qui était si pressé de fuir le Monde ?

Il est probable que la maladie de Monique, le soin de ses funérailles et d’autres affaires à régler le retinrent à Ostie jusqu’au seuil de l’hiver. Le temps était redevenu mauvais, la mer dangereuse. La navigation s’interrompait régulièrement dès le mois de novembre, quelquefois même plus tôt, dès les premiers jours d’octobre, si les tempêtes de l’équinoxe étaient exceptionnellement violentes. Il fallut attendre la belle saison. Puis on apprit que les flottes de l’usurpateur Maxime, alors en guerre contre Théodose, bloquaient les côtes d’Afrique. Les voyageurs risquaient d’être capturés par l’ennemi. Pour toutes ces raisons, Augustin ne put s’embarquer avant la fin de l’été suivant.

Dans l’intervalle, il s’établit à Rome. Il y employa ses loisirs à se documenter sur les manichéens, ses frères de la veille. Converti au catholicisme, il devait prévoir des attaques passionnées de la part de ses anciens coreligionnaires. Pour leur fermer la bouche, il réunit contre eux un volumineux dossier, bourré des plus récens scandales. Il se préoccupa aussi d’approfondir leurs doctrines, afin de les mieux réfuter : le dialecticien ne sommeillait jamais en lui. Entre temps, il visitait les monastères romains, en étudiait la règle et l’organisation, y cherchant un modèle pour le couvent qu’il projetait toujours de fonder dans son pays. Enfin, dans le courant d’août ou de septembre 388, il revint à Ostie, où il trouva un bateau qui partait pour Carthage.

Quatre ans auparavant, vers la même époque, il faisait le même voyage en sens inverse. La traversée était belle, on percevait à peine le mouvement du navire. C’est le temps des grands calmes en Méditerranée. Jamais elle n’est plus féerique que dans ces mois d’été. Le ciel, légèrement teinté de bleu, se confond avec la mer toute blanche, étalée en une large nappe sans rides, moire liquide et souple, où passent des frissons d’ambre et des rousseurs orangées, quand le soleil se couche. Nulle forme précise, seulement des reliefs d’une suavité étrange, des vapeurs nacrées, la douceur de l’azur à l’infini.