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Ses amis et ses proches l’entouraient. Il consolait les autres et lui-même. Selon l’usage, il discourait sur la délivrance de l’âme fidèle, sur la béatitude qui lui est promise. On aurait pu croire qu’il était insensible : « Mais, moi, mon Dieu, tout en parlant, je m’approchais de ton oreille, où nul ne pouvait m’entendre, je me reprochais ma faiblesse, et je m’efforçais d’arrêter le flux de ma douleur… Hélas ! je savais tout ce que je comprimais dans mon cœur. »

Même à l’église, où l’on offrit le sacrifice pour l’âme de Monique, puis au cimetière, devant le cercueil, il ne pleura point. Par une pudeur toute chrétienne, il craignait de scandaliser ses frères, en imitant la désolation des païens et de ceux qui meurent sans espérance. Mais cet effort même qu’il faisait pour retenir ses larmes lui devenait une autre souffrance. Sa journée s’acheva dans une tristesse noire, une tristesse qu’il n’arrivait point à secouer et sous laquelle il étouffait. Alors, se souvenant du proverbe grec : « le bain chasse les soucis, » — l’idée lui vint, pour en finir, d’aller aux thermes. Il entra au tepidarium, s’allongea sur la plaque brûlante. Remède inutile : « L’amertume de mon chagrin ne sortit point de mon cœur avec la sueur qui coulait de mes membres. » Les serviteurs l’enveloppèrent de linges tièdes et le conduisirent au lit de repos. Accablé par la fatigue et par tant d’émotions, il s’endormit d’un lourd sommeil. Le lendemain, au réveil, une alacrité nouvelle remplissait tout son être. Des vers chantaient dans sa mémoire : c’étaient les premières paroles de l’hymne confiante et joyeuse de saint Ambroise :


Dieu créateur de toutes choses,
Modérateur des cieux, qui revêts
Le jour de splendeur et de beauté, —
Donne à la nuit la grâce du sommeil,
Afin que le repos rende nos membres fatigués
À leur labeur coutumier,
Relève nos âmes abattues
Et les délivre des angoisses et des deuils !…


Soudain, à ce mot de deuils, la pensée de sa mère morte ressurgit en lui, avec le regret de toute la tendresse dont il était privé. Un flot de désespoir le roula. Il s’abattit, en sanglotant, sur son lit, et il pleura enfin toutes les larmes qu’il refoulait depuis si longtemps.