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— Entends-tu ce qu’il dit ?

Et, après un silence, elle reprit d’une voix plus ferme, comme pour dicter à ses fils ses dernières volontés :

— Enterrez ce corps où vous voudrez, et ne vous en mettez point en peine ! La seule chose que je vous demande, c’est de vous souvenir de moi à l’autel du Seigneur, partout où vous serez !...

C’était le sacrifice suprême ! Comment une Africaine, si attachée à son pays, pouvait-elle accepter d’être ensevelie en terre étrangère ? Dans cette société, où les idées païennes demeuraient encore vivaces, le lieu de la sépulture était une grosse affaire. Monique, comme toutes les autres veuves, avait pris soin de la sienne. A Thagaste, elle avait fait préparer sa place, à côté de son mari Patritius. Et voilà que, maintenant, elle paraissait y renoncer. Les compagnons d’Augustin s’étonnaient d’une telle abnégation. Quant à lui, il admirait que la Grâce eût transformé à ce point l’âme de sa mère. Et, songeant à toutes les vertus de sa vie, à la ferveur de sa foi, — dès cet instant, il ne douta point qu’elle ne fût une sainte.

Elle languit encore quelque temps. Enfin, le neuvième jour de sa maladie, elle expira à l’âge de cinquante-six ans.

Augustin lui ferma les yeux. Une douleur immense gonflait son cœur. Pourtant, lui qui avait les larmes si promptes, il eut le courage de ne pas pleurer... Tout à coup, un sanglot perçant éclata dans la chambre mortuaire : c’était le jeune Adéodat qui se lamentait à la vue du cadavre. Il sanglotait d’une façon tellement déchirante que les assistans, démoralisés par la détresse de cette plainte, furent obligés de le faire taire. Cela frappa si profondément Augustin, que, bien des années après, le brisement de ce sanglot résonnait encore à son oreille. « Il me sembla, — dit-il, — que c’était mon âme d’enfant, qui s’échappait ainsi avec les gémissemens de mon fils. » Pour lui, — de tout l’effort de sa raison en lutte contre son cœur, — il ne voulait considérer que la gloire où la Sainte venait d’entrer. Ses compagnons étaient dans les mêmes sentimens... Aussitôt, Evodius saisit un psautier et, devant le corps à peine refroidi de Monique, il entonna le psaume : « Je chanterai, Seigneur, ta miséricorde et ta justice. » Tous ceux qui étaient dans la maison reprenaient les versets du chant sacré.

Cependant, on entraîna Augustin dans une pièce voisine, tandis que les ensevelisseurs procédaient à la toilette funèbre.