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Nul objet sensible, rien, absolument rien ne les distrait de leur contemplation. La mer elle-même, quoique indiquée par le peintre, se confond presque avec la ligne bleue de l’horizon. Deux âmes et le ciel, — voilà tout le sujet.

C’est de la poésie vivante figée dans de la pensée abstraite. L’attitude des personnages, — noblement assis et non plus appuyés au rebord de la fenêtre, — a pris, dans le tableau de Scheffer, on ne sait quoi d’apprêté, de légèrement théâtral. Et l’ensemble est d’une sécheresse froide, qui contraste avec la chaleur lyrique du récit des Confessions.

Pour moi, j’avais toujours cru, — peut-être sur la foi de ce tableau, — que la fenêtre de la maison d’Ostie s’ouvrait, par-dessus le jardin, jusqu’à la perspective de la mer. La mer, symbole de l’infini, devait être présente, — me semblait-il, — à l’entretien suprême de Monique et d’Augustin. A Ostie même, j’ai dû abandonner cette idée trop littéraire : la mer y est invisible. Sans doute, à cette époque, le rivage n’était pas aussi ensablé qu’il l’est aujourd’hui. Mais la côte est tellement basse que, tout près de l’embouchure actuelle du Tibre, on ne devine la proximité de la mer que par le reflet des vagues dans l’atmosphère, une sorte de halo nacré, qui tremble au bord du ciel. Maintenant, j’incline à penser que la fenêtre de la maison d’Ostie était plutôt tournée vers le vaste horizon mélancolique de l’Agro romano : « Nous parcourûmes, l’une après l’autre, — dit Augustin, — toutes les choses corporelles, jusqu’au ciel lui-même. » N’est-il pas vraisemblable de supposer que ces choses corporelles, — ces formes de la terre, avec ses plantes, ses fleuves, ses villes et ses montagnes, — ils les avaient sous les yeux ? Le spectacle austère qui se déroulait devant leur regard était d’accord, en tout cas, avec les dispositions de leurs âmes.

Cette grande plaine désolée n’a rien d’opprimant, rien qui retienne la vue sur des détails trop matériels. Les couleurs en sont pâles et légères, comme sur le point de s’évanouir. D’immenses étendues stériles, uniformément fauves, où brille, çà et là, un peu de rose, un peu de vert ; des genêts, des ajoncs près des berges de la rivière, ou quelques boschetti aux feuillages poussiéreux, qui tranchent faiblement dans la blondeur du sol. A droite, une forêt de pins. A gauche, les ondulations des collines romaines expirent dans un vide d’une tristesse infinie. Au fond, la masse violette des monts Albains, aux contours voilés