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à peine pontées, — si la traversée était interminable et peu sûre, elle était surtout fort incommode. On ne se hâtait point d’en subir les tortures, on les espaçait le plus possible par des relâches multipliées. Pour toutes ces raisons, nos Africains firent un assez long séjour à Ostie. Ils descendirent sans doute chez des frères chrétiens, des hôtes d’Augustin ou de Monique, dans une maison tranquille, loin du bruit et des foules cosmopolites, qui encombraient les hôtelleries du port.

Placée à l’embouchure du Tibre, Ostie était à la fois le port et l’entrepôt de Rome. Les navires de l’annone y apportaient les huiles et les blés d’Afrique. C’était un lieu de transit pour le commerce, un point de débarquement pour les immigrans de toutes les parties de la Méditerranée. Aujourd’hui, il n’en reste plus qu’un misérable village. Mais, à quelque distance de cette bourgade, les fouilles des archéologues ont fait surgir, en ces derniers temps, les vestiges d’une grande ville. A l’entrée, ils ont découvert une nécropole, avec des tombeaux en arcosolia, où fut peut-être déposé le corps de sainte Monique, — et, dans cette nécropole, une belle statue mutilée, un Génie funéraire ou une Victoire, aux larges ailes repliées comme celles des anges chrétiens. Puis, le forum avec ses boutiques, la caserne des vigiles, des thermes, un théâtre, plusieurs grands temples, des rues à galeries, pavées de larges dalles, des magasins pour les marchandises : on y reconnaît encore, alignés contre les murs, les trous dans lesquels s’emboitaient les panses des amphores. Tous ces débris éveillent l’idée d’un centre populeux, où le mouvement du trafic et de la navigation était intense.

Dans cette ville bruyante, Augustin et sa mère trouvaient pourtant le moyen de se recueillir, de s’unir par la méditation et la prière. Au milieu de cette agitation un peu vulgaire, parmi cette rumeur de marine et de commerce, se place une scène mystique où l’amour purifié de la mère et du fils nous apparaît comme dans une lumière d’apothéose. Ils eurent, à Ostie, comme un avant-goût de l’union éternelle en Dieu. C’était dans la maison où ils étaient descendus. Ils causaient doucement, appuyés à une fenêtre, qui s’ouvrait sur le jardin... Mais la scène a été popularisée par le tableau trop fameux d’Ary Scheffer. On se le rappelle : deux figures pâles, exsangues, dépouillées de chair, où ne vivent que des yeux ardens élancés vers l’azur, — un azur dense, impénétrable, lourd de tous les secrets de l’éternité.