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de la Grâce. On parlait de cette communauté que saint Ambroise avait fondée ou organisée aux portes de Milan, et, par comparaison avec une vie si austère, Augustin s’apercevait que celle qu’il avait menée à Cassiciacum était encore entachée de paganisme. Il fallait aller jusqu’au bout de la conversion, vivre en cénobite, à la façon d’Antoine et des solitaires de la Thébaïde. Alors il réfléchit qu’il possédait toujours un peu de bien à Thagaste, une maison, des champs. On s’y établirait, on vivrait là, dans le renoncement, comme des moines. La pureté du petit Adéodat le prédestinait à cette existence ascétique. Quant à Monique, qui, depuis longtemps, avait pris le voile des veuves, elle n’avait Tien à changer à ses habitudes, pour mener, auprès de son fils et de son petit-fils, une vie toute sainte. D’un commun accord, on décida qu’on se rembarquerait pour l’Afrique, et qu’on y mettrait ce projet à exécution.

Ainsi, au lendemain de son baptême, Augustin n’a qu’un désir : s’ensevelir dans la retraite, vivre d’une vie humble et cachée, partagée entre l’étude de l’Écriture et la contemplation de Dieu. Dans la suite, ses ennemis l’accusèrent de s’être converti par ambition, en vue des honneurs et des richesses de l’épiscopat. C’est une calomnie toute gratuite. Sa conversion fut des plus sincères, des plus désintéressées, — et aussi des plus héroïques : il avait trente-trois ans. Quand on songe à tout ce qu’il avait aimé, à tout ce qu’il abandonnait, on ne peut que courber la tête et fléchir le genou devant la haute vertu d’un tel exemple.

La caravane se mit en route, dans le courant de l’été, et traversa l’Apennin pour s’embarquer à Ostie. La date de cet exode n’a pu être précisée. Peut-être Augustin et ses compagnons fuyaient-ils devant les bandes de l’usurpateur Maxime, qui, dès la fin d’août, franchit les Alpes, et marcha sur Milan, tandis que le jeune Valentinien se réfugiait à Aquilée avec toute sa cour. En tout cas, c’était un voyage fatigant, surtout en cette saison chaude. Monique arriva très affaiblie. Une fois à Ostie, on dut attendre le départ d’un bateau pour l’Afrique. L’occasion propice ne se présentait pas tous les jours. À cette époque-là, on était à la merci de la mer, du vent, et de mille autres circonstances. Le temps ne comptait point, on le dépensait avec prodigalité. On voyageait à petites journées, en longeant les côtes, où les escales se prolongeaient au gré du patron. Sur ces navires, — des balancelles