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Académiques, il combat les erreurs dont il a si longtemps souffert. Il définit son idéal nouveau. Non, la recherche de la vérité, sans l’espoir de l’atteindre, ne saurait procurer le bonheur. Et le bonheur véritable n’est qu’en Dieu. Et, s’il existe un ordre dans les choses, il faut mettre de l’ordre aussi dans son âme, pour la rendre capable de contempler Dieu. Il faut apaiser en elle le tumulte des passions : d’où la nécessité de la réforme intérieure et, finalement, de l’ascétisme.

Mais Augustin se rend bien compte que ces vérités ont besoin d’être adaptées à la faiblesse des deux jeunes gens qu’il instruit, et aussi du commun des hommes. En ces années-là, il n’a pas encore l’intransigeance que lui donnera bientôt une plus haute vertu, intransigeance d’ailleurs combattue sans cesse par sa charité et par des ressouvenirs tenaces de lettré. En matière de morale mondaine et d’éducation, il formule alors la règle de conduite que la sagesse chrétienne de l’avenir adoptera : « Si vous avez toujours l’ordre à cœur, dit-il à ses élèves, il faut retourner à vos vers. Car la connaissance des sciences libérales, mais une connaissance sobre et réglée, forme des hommes qui aimeront la vérité... Mais il est d’autres hommes, ou, pour mieux dire, d’autres âmes, qui, bien que retenues dans leurs corps, sont recherchées, pour des noces immortelles, par le meilleur et le plus beau des époux. Ces âmes, il ne leur suffit pas de vivre, elles veulent vivre heureuses... Pour vous, allez, en attendant, retrouver vos Muses ! »

Allez retrouver vos Muses : le beau mot ! Qu’il est humain et qu’il est sage ! Voilà nettement indiqué le double idéal de ceux qui continuent à vivre dans le monde selon la loi chrétienne de sobriété et de modération, — et de ceux qui aspirent à vivre en Dieu. Quant à Augustin, son choix est fait. Il ne retournera plus la tête en arrière. Ces dialogues de Cassiciacum, c’est son adieu suprême à la Muse païenne.


II. — L’EXTASE DE SAINTE MONIQUE

On passa l’hiver à Cassiciacum. Si absorbé qu’il fût par les travaux de la villa et par le souci de ses élèves, Augustin s’occupait surtout de la grande affaire de son salut.

Les Soliloques, qu’il écrivait alors, reproduisent jusqu’au ton passionné des méditations auxquelles il se livrait habituellement