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de la philosophie ? Comment hésiter, après cela, à me déclarer ton disciple ?

Et Monique, toute confuse d’un tel éloge, de répondre avec une affectueuse brusquerie :

— Tais-toi ! Jamais tu n’as débité de plus grands mensonges !

La plupart du temps, ces entretiens étaient de purs jeux dialectiques, selon le goût de l’époque, des jeux un peu pédans, et subtils jusqu’à la fatigue. Le bouillant Licentius ne s’y plaisait pas toujours. Il avait des distractions fréquentes, dont son maître le tançait. Mais enfin, celui-ci entendait à la fois amuser ses deux nourrissons et exercer leur intelligence. A la fin d’une discussion, il leur disait, en riant :

— A cette heure, le soleil m’avertit de remettre dans la corbeille les jouets que j’avais apportés pour les enfans...

Remarquons-le, en passant : c’est la dernière fois, — avant les siècles, qui vont venir, d’universel silence intellectuel ou de scolastique aride, — c’est la dernière fois qu’on agite de hautes questions sur ce ton de badinage élégant et avec cette liberté d’esprit. La tradition commencée par Socrate sous les platanes de l’Hissus va se clore, avec Augustin, sous les châtaigniers de Cassiciaeum.

Et pourtant, quels que soient l’enjouement et la fantaisie de la forme, le fond de ces dialogues sur les Académiques, sur l’Ordre et sur la Vie heureuse, est sérieux, très sérieux même. La meilleure preuve de l’importance qu’Augustin y attachait, c’est que, par la suite, il les publia, après avoir pris soin de les faire sténographier. Des notarii assistaient à ces discussions et n’en laissaient rien perdre. L’avènement du scribe, du notaire, date de cette époque. L’administration du Bas-Empire fut effroyablement paperassière. A son contact, l’Église le devint aussi. Ne nous en plaignons pas trop, si cette manie écrivante nous a valu, avec beaucoup de fatras, de précieux documens historiques. En ce qui concerne Augustin, ces procès-verbaux des conférences de Cassiciaeum ont au moins le mérite de nous renseigner sur l’état d’âme du futur évêque d’Hippone, en un moment décisif de sa vie.

Malgré leur apparence d’exercices scolaires, ces Dialogues nous révèlent, en effet, les préoccupations intimes d’Augustin au lendemain de sa conversion. En ayant l’air de réfuter les