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ce qui ne l’empêchait pas d’en rompre la tête à tout venant. Un autre jour, c’étaient les chants d’Église, alors dans toute leur nouveauté, qui l’enthousiasmaient. Ce jour-là, du matin au soir, on entendait Licentius chanter des cantiques.

A ce propos, Augustin raconte, avec une bonhomie candide, une certaine anecdote, qui, aujourd’hui, a besoin de toute l’indulgence du lecteur, pour se faire accepter. Comme elle nous introduit au plus intime de ces mœurs mi-païennes, mi-chrétiennes, qui étaient encore celles d’Augustin, je la rapporterai dans sa simplicité.

Un soir donc, après le diner, Licentius étant sorti, se dirigea vers un retrait mystérieux, et, là, tout à coup, il se mit à chanter ce verset de psaume : Dieu des vertus, convertis-nous, montre-nous ta face, et nous serons sauvés ! Depuis quelque temps, en effet, il ne chantait plus autre chose. Il répétait ce verset à satiété, comme on fait d’une mélodie nouvellement apprise. Mais la pieuse Monique, qui l’entendit, ne put supporter que, dans pareil lieu, on chantât des paroles aussi saintes. Elle rabroua le coupable. Sur quoi, le jeune écervelé répliqua assez lestement :

— Suppose, bonne mère, qu’un ennemi m’ait enfermé dans cet endroit : est-ce que tu crois que Dieu ne m’aurait pas écouté tout de même ?...

Le lendemain, il n’y songeait plus et, quand Augustin lui rappela l’incident, il déclara n’en avoir nul remords.

— Pour moi, reprit l’excellent maître, je n’en suis point choqué... En effet, ni cet endroit même, qui a scandalisé ma mère, ni les ténèbres de la nuit ne sont que trop en disconvenance avec ce cantique. Car d’où penses-tu que nous demandions à Dieu de nous retirer, pour nous convertir et contempler son visage ? N’est-ce pas de cette sentine des sens, où nos âmes sont plongées, et de ces ténèbres, dont l’erreur nous enveloppe ?...

Et comme, ce jour-là, on discutait sur l’ordre établi par la Providence, Augustin en prit prétexte pour faire à son élève un petit sermon édifiant. L’espiègle Licentius, ayant écouté le sermon, conclut non sans malice :

— Voyez un peu, quel concours admirable de circonstances pour me prouver que rien n’arrive, sinon dans le plus bel ordre et pour notre plus grand bien !

Cette réponse nous donne le ton de l’entretien entre Augustin