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encore son père. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il fut une âme angélique. Quelques mots de lui nous ont été conservés par Augustin. Ils embaument comme une gerbe de lys.

Plus près de la terre sont les autres membres de la famille : Navigius, son oncle, brave homme, dont nous ne savons rien, sinon qu’il avait une maladie de foie, — l’ictère du colon africain, — et que, pour ce motif, il s’abstenait des plats sucrés. Rusticus et Lastidianus, les deux cousins, personnages aussi effacés que des figurans de tragédie. Enfin, les élèves d’Augustin : Trygetius et Licentius. Le premier, qui venait de faire un stage dans l’armée, était passionné pour l’histoire, « comme un vétéran. » Bien que son maître lui ait donné la parole dans quelques-uns de ses dialogues, sa physionomie reste, pour nous, imprécise. Il n’en est pas de même pour Licentius. Le fils de Romanianus, le mécène de Thagaste, fut le disciple chéri d’Augustin. On s’en aperçoit. : Toutes les phrases qu’il lui a consacrées ont une chaleur d’accent, une couleur et un relief qui saisissent.

Ce Licentius se présente à nous comme le type de l’enfant gâté et du fils de famille, pétulant, vaniteux, présomptueux, très familier, ne se privant pas, à l’occasion, de plaisanter son professeur. Avec cela, étourdi, sujet à de brusques engouemens, superficiel et un peu brouillon. Au demeurant, le meilleur fils du monde : mauvaise tête, mais bon cœur. C’était un franc païen, et je crois qu’il le resta toute sa vie, malgré les exhortations d’Augustin et celles du doux Paulin de Nole, qui le chapitrait en prose et en vers. Gros mangeur et beau buveur, il faisait pénitence à la table plutôt frugale de sainte Monique. Mais, quand la fièvre de l’inspiration s’emparait de lui, il en oubliait le boire et le manger, et, dans sa soif poétique, il aurait tari, — nous dit son maître, — toutes les fontaines de l’Hélicon. Licentius versifiait avec passion : « C’est un poète presque parfait, » écrit Augustin à Romanianus. L’ancien rhéteur savait son monde et comme il faut parler au père d’un élève riche, surtout quand il est votre bienfaiteur. A Cassiciacum, sous les yeux indulgens d’Augustin, l’élève mettait en vers la romanesque aventure de Pyrame et de Thisbé. Il en déclamait des morceaux devant les hôtes de la villa, car il avait une belle voix sonore. Puis, il plantait là le poème commencé, et, subitement, il s’éprenait de tragédies grecques, auxquelles, d’ailleurs, il ne comprenait rien :