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— cet automne qui était lourd de toutes les pourritures de l’été, mais qui annonçait déjà la grande paix de l’hiver. Les feuilles jaunies des châtaigniers s’amoncelaient au bord des chemins. Elles obstruaient le ruisseau qui coulait près de la salle de bains, et, pendant quelque temps, l’eau prisonnière s’arrêtait de chanter. Augustin tendait l’oreille. Son âme aussi était obstruée, — engorgée par tous les détritus de sa pensée et de ses passions. Mais il savait que, bientôt, le chant de sa vie nouvelle allait reprendre sur un mode triomphal, et il se répétait les paroles du psaume : Cantate mihi canticum novum, « Chantez-moi un cantique nouveau. »

Malheureusement, Augustin, à Cassiciacum, n’avait pas que le souci de son âme et de son salut : il en avait mille autres. Il en sera ainsi pendant toute son existence. Jusqu’au bout, il aspirera à la solitude, à la vie en Dieu, et jusqu’au bout, Dieu lui imposera la charge de ses frères. Ce grand esprit vivra surtout par la charité.

Chez Verecundus, non seulement il était maître de maison, mais il avait à diriger et à administrer tout un domaine rural. Il est probable que chacun des hôtes de la villa s’y employait avec lui. On se partagea les rôles. Le bon Alypius, qui était au courant des affaires et qui connaissait les arcanes de la procédure, se chargea des relations extérieures, — des achats et des ventes, probablement aussi de la comptabilité. Sans cesse, il était sur la route de Milan. Augustin tenait la correspondance, distribuait, chaque matin, leur travail aux tâcherons de la ferme. Monique s’occupait du ménage, ce qui n’était pas une mince besogne dans une maison où, tous les jours, on était neuf à table. Mais la Sainte s’acquittait de ses humbles fonctions avec une bonté et une abnégation touchantes : « Elle prenait soin de nous, dit Augustin, comme si nous eussions tous été ses enfans, et elle nous servait, comme si chacun de nous eût été son père. »

Regardons-les un peu, ces « enfans » de Monique. Outre Alypius, que nous connaissons déjà, il y avait le jeune Adéodat, l’enfant du péché, — « mon fils Adéodat, dont le génie promet de grandes choses, si mon amour pour lui ne m’abuse pas. » Ainsi parle son père. Ce petit garçon était, paraît-il, un prodige, comme le sera, plus tard, le petit Blaise Pascal : « L’esprit de cet enfant m’épouvantait, » horrori mihi erat illud ingenium, — dit