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prie Dieu de lui payer sa dette : « Tu le lui rendras, Seigneur, au jour de la résurrection des justes… Tu rendras à Verecundus, en retour de son hospitalité, dans cette campagne de Cassiciacum, où nous nous reposâmes en Toi, au sortir de l’été brûlant du siècle ; tu lui rendras la fraîcheur et les ombrages éternellement verts de ton paradis… »

Ce fut un moment unique dans la vie d’Augustin. Au lendemain de la crise intellectuelle qui a ébranlé jusqu’à son corps, on dirait qu’il savoure les délices de la convalescence. Il se détend, et, comme il le dit lui-même, il se repose. Son exaltation est tombée, mais sa foi reste toujours aussi ferme. D’un esprit calme et souverainement lucide, il juge son état, il voit nettement tout ce qui lui reste à faire pour devenir un chrétien accompli. D’abord, se familiariser avec l’Écriture, résoudre certaines questions pressantes, — par exemple celle de l’âme, de sa nature, et de ses origines, — qui l’obsèdent en ce moment-là. Puis réformer sa conduite, changer les habitudes de sa pensée, et, si l’on peut dire, désaffecter son esprit, encore tout pénétré d’influences païennes : tâche délicate, malaisée, parfois douloureuse, qui demandait plus d’un jour.

Après vingt siècles de christianisme, et malgré nos prétentions à tout comprendre, nous ne concevons pas très bien quel abime nous sépare du paganisme. Quand par hasard nous en retrouvons des traces dans certaines régions arriérées du Midi, nous nous effarons, nous ne le reconnaissons plus, tellement il est loin de nous, et nous attribuons au catholicisme ce qui n’est qu’une survivance des vieilles mœurs abolies. Augustin, lui, était tout près d’elles. Lorsqu’il se promenait par les prés et les bois de Cassiciacum, les Faunes et les Sylvains de l’antique mythologie hantaient sa mémoire et s’offraient presque à ses yeux. Il ne pouvait faire un pas sans rencontrer une de leurs chapelles, ou se heurter à une borne encore toute grasse de l’huile, dont la superstition des paysans l’avait arrosée. Comme lui, l’antique terre païenne n’avait pas encore revêtu complètement le Christ des temps nouveaux. Il ressemblait à cet Hermès Criophore qui symbolisait gauchement le Sauveur sur les murailles des Catacombes. De même que le Porteur de boucs se transformait peu à peu en Bon Pasteur, l’évêque d’Hippone se dégageait lentement du rhéteur Augustin.

Il en avait conscience, en cet automne languissant de Cassiciacum,