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villa nommée Cassiciacum. Il proposa à Augustin d’y passeras vacances et même de s’y établir à demeure, avec tous les siens, à charge d’administrer la propriété et d’en surveiller les travaux.

On voudrait retrouver les traces de cette maison hospitalière où le futur moine de Thagaste et d’Hippone fit ses adieux au monde. Cassiciacum a disparu. Il est permis à l’imagination de la rebâtir idéalement dans les plus beaux endroits de la luxuriante campagne qui entoure Milan. Si, cependant, le jeune Licentius n’a pas trop sacrifié à la métaphore dans ces vers, où il rappelle à Augustin « les soleils révolus parmi les hautes montagnes de l’Italie, » il est probable que le domaine de Verecundus était situé sur les premières ondulations montagneuses qui aboutissent à la chaîne de la Brianza. Aujourd’hui encore, les riches Milanais ont, de ce côté-là, leurs maisons de campagne.

Cette grasse Lombardie dut apparaître aux yeux d’Augustin et de ses compagnons comme une autre Terre promise. Le pays merveilleusement fertile et cultivé est un verger perpétuel, où foisonnent les arbres fruitiers, et que sillonnent, en tous sens, des canaux à l’eau profonde, lente et poissonneuse. Partout, des murmures d’eaux courantes : musique délicieuse pour des oreilles africaines. Des odeurs de menthe et d’anis, des prairies à l’herbe haute et drue où l’on entre jusqu’aux genoux. Çà et là, de petits vallons très encaissés, avec leurs nappes de verdures bocagères, où tranchent les panaches roses des tilleuls et les feuillages bronzés des noisetiers, où les sapins du Nord dressent déjà leurs noires aiguilles. A l’horizon, confondus en une seule masse violette, les étages successifs des Alpes couvertes de neiges, et, plus près du regard, des pics abrupts, des murailles dentelées, sillonnées de sombres crevasses, qui font paraître plus éclatant l’or fauve de leurs parois. Non loin dorment les lacs enchantés. On dirait qu’une splendeur émane de leurs eaux, et, par delà les escarpemens qui les emprisonnent, se répand dans tout le ciel, tantôt un peu froid, — d’un azur suave et mélancolique à la Vinci, — tantôt d’un bleu ardent où flottent de gros nuages soyeux et roux, comme dans les fonds de tableaux du Véronèse. La beauté de la lumière allège et transfigure la trop lourde opulence de la terre.

Où qu’on place le domaine de Verecundus, on y découvrait