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Nancy parce qu’ils s’y trouvent bien, qu’ils s’y plaisent et s’y amusent, sans que jamais jusqu’ici leur présence ait donné lieu à aucune démonstration désobligeante pour eux, et parce qu’une fois, une seule, depuis un grand nombre d’années, un Incident se produit, la diplomatie impériale se met en mouvement ! Pourquoi n’avoir pas attendu quarante-huit heures pour voir si nous ne prendrions pas spontanément les résolutions que le cas comportait et nous en laisser le mérite ? Mais enfin, soit ! Si la diplomatie impériale a agi d’une manière bien précipitée, bien impatiente, bien pressante, ses procédés ont été corrects. Nous ne pouvons malheureusement pas en dire autant de l’opinion allemande qui, par l’organe de ses journaux, s’est livrée, avec une brutalité et une grossièreté sans pareilles, à un emportement dont nous rougirions en France, si nos propres journaux s’y étaient laissé entraîner. Mais nous pouvons sans crainte faire appel au témoignage du monde entier : il dira que nous avons gardé notre sang-froid et notre dignité sous cette pluie qui voulait nous salir. Après tout, nous sommes habitués à ces procédés germaniques que nous regardons avec la philosophie des anciens devant des ilotes ivres. Ce spectacle ne nous émeut plus : il nous amène seulement à penser qu’il y a entre les journalistes français et les journalistes allemands une différence d’éducation. Au surplus, si les journaux nous intéressent parce qu’ils nous renseignent sur l’état de l’opinion, ou d’une partie de l’opinion, nous leur laissons la responsabilité de leur vocabulaire spécial, sans commettre l’injustice de la faire remonter plus haut et de l’imputer, soit à leur pays tout entier, soit à leur gouvernement.

Est-ce à dire que nous n’ayons aucune observation à présenter sur le langage de ce dernier à propos de cette sotte affaire ? Devant le Reichstag des paroles regrettables ont été prononcées. Nous avons été surpris en France, et plus que surpris, en apprenant que, dès le lendemain de l’incident de Nancy, sans y être provoqué et, en tout cas, sans attendre même les premiers renseignemens, M. de Jagow, le nouveau ministre des Affaires étrangères du gouvernement impérial, avait dénoncé, dans l’échauffourée de Nancy, une manifestation de ce « chauvinisme français » dont M. de Bethmann-Hollweg avait, quelques jours auparavant, parlé lui aussi. Nous ne savons pas si le chancelier de l’Empire a été flatté de cette justification que M. de Jagow lui a apportée avec un tel empressement que, de son propre aveu, il n’a pas pris le temps de contrôler l’exactitude des faits. Comme l’opinion pangermaniste elle-même, il s’est fié au récit odieusement mensonger qu’un journal venait de faire de l’incident. N’insistons pas : il y aurait