Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 15.djvu/230

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

manque de provisions fit interrompre, Scott prépare patiemment l’expédition qui doit, par la route qu’il a découverte lui-même et que son lieutenant a si magnifiquement développée, le conduire inévitablement au pôle. Aussi lorsqu’en janvier 1911, Scott installe ses quartiers d’hiver non loin de sa base de 1902 et de celle de Shakelton, sur le bord Ouest de la Grande-Barrière, le monde entier est convaincu que cette conquête suprême ne saurait échapper à l’Angleterre.

Pourtant, le 9 août 1908, Amundsen avait quitté la Norvège sur le vieux Fram de Nansen, cinglant vers l’Amérique du Sud qu’il avait d’abord l’intention de doubler pour gagner le détroit de Behring et se laisser dériver par la banquise vers le pôle Nord. On sait comment, faute d’avoir pu recueillir des fonds suffisans, et aussi à cause de la nouvelle du succès de Peary, Amundsen annonça en pleine mer à son équipage qu’il changeait son plan primitif, — qu’il reprendra, nous l’avons dit, dans quelques mois, — et décidait de se porter vers le pôle Sud. Son installation à l’extrémité Est de la Grande-Barrière, son hivernage, puis la préparation admirable de la marche vers le pôle, celle-ci enfin réalisée avec une vitesse foudroyante, et qui mettait au but le hardi Norvégien et ses compagnons le 14 décembre 1911, tout cela est aujourd’hui bien connu, grâce à l’adaptation excellente que M. Charles Rabot, avec son talent coutumier, a donnée du récit d’Amundsen. Aussi il serait superflu d’y revenir en détail.

Il est un trait dans la randonnée polaire d’Amundsen qui témoigne d’une audace peu commune : loin de vouloir profiter des itinéraires antérieurs des expéditions britanniques, le capitaine norvégien a pris pour point de départ, à l’extrémité opposée de la Grande-Barrière, un endroit situé à 700 kilomètres de celui qui avait servi de base à ses émules. C’est ainsi que, sur les 2 400 kilomètres de son trajet aller et retour dans l’Antarctide, il n’en est pas un seul qu’il n’ait été le premier à franchir. Grâce à cette heureuse circonstance, Amundsen a réalisé sur sa route de remarquables découvertes géographiques, trouvant notamment des glaciers énormes qui de la Grande-Barrière le firent monter au plateau polaire entre des chaînes de montagnes jusque-là insoupçonnées et dont les sommets atteignent de 4 000 à 4 500 mètres. Chacun de ces sommets a reçu de lui le nom de quelqu’un des hommes qu’il aime ou qu’il admire, comme avait fait déjà à quelque distance delà Shakleton, et comme c’est l’usage chez les découvreurs de terres. Et il y a dans ce privilège qu’ils ont de pouvoir dédier à leurs amis une montagne gigantesque, ou les cascades figées de quelque glacier