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Les considérations précédentes expliquent peut-être la réserve qui s’est manifestée dans certains milieux compétens à l’égard de la découverte de Peary, et notamment ce fait qui eût pu sembler autrement assez singulier : que notre Société de Géographie, que préside avec tant d’autorité le prince Roland Bonaparte, n’ait pas encore décerné à Peary la récompense que semble mériter son exploit.

Il est certain, en tout cas et dès maintenant, que l’explorateur américain a été plus près du pôle. Nord qu’aucun autre homme avant lui, qu’il y a fait des observations scientifiques intéressantes et notamment des sondages prouvant que la profondeur de la mer au voisinage du pôle dépasse 2 500 mètres, et Peary a mérité pour cela comme pour ses explorations du Groenland une place très honorable dans l’histoire des découvertes géographiques.


LE PASSAGE DU NORD-OUEST

L’honneur d’avoir accompli dans le secteur boréal américain l’exploit peut-être le plus difficile, celui qui en tout cas avait coûté le plus d’efforts vainement dépensés, pendant quatre siècles, revient au Norvégien Roald Amundsen, qui réalisa le premier, de 1903 à 1907, le passage d’un navire de l’Atlantique en Pacifique par-dessus l’Amérique, accomplissant ainsi le passage du Nord-Ouest dont la recherche avait causé tant de désastres tragiques et notamment celui de l’expédition de John Franklin. Cette découverte de Roald Amundsen a passé, alors, presque inaperçue dans le grand public ; elle n’y a pas rencontré en tout cas l’admiration qu’elle eût méritée. Pourtant, et bien que la découverte du pôle Sud par le même homme ait semblé une chose beaucoup plus « sensationnelle, » il est probable que, tant par l’héroïsme dépensé que par les résultats scientifiques obtenus, le premier de ces exploits ne le cède en rien au second, et mérite de faire époque au même titre que lui.

Alors que dans toutes les tentatives antérieures vers le passage du Nord-Ouest, les expéditions étaient munies de puissans navires et d’équipages nombreux (celle de Franklin comprenait 138 membres), c’est avec six compagnons seulement et sur un minuscule voilier de 47 tonnes, le Gjoä, qu’Amundsen se lance à l’aventure. Ce que fut cette navigation de trois ans, sur une coquille de noix, à travers les horreurs glacées de l’archipel Nord-Américain, on peut se l’imaginer. Pourtant, malgré la modicité des moyens, Amundsen réussit ce que