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devons donc parallèlement distinguer dans la lutte polaire ce qu’on me permettra d’appeler les routes américaines, les routes européennes et les routes asiatiques, qui correspondent respectivement aux trois secteurs que nous venons de définir.

A priori, le secteur polaire américain présente à certains points de vue de grands avantages. Tandis que le vieux continent ne s’étend guère au delà du 77e degré de latitude à son point le plus boréal le cap Tcheliouskine, l’archipel Nord-Américain, qui n’est qu’un prolongement du continent dont il est séparé par des bras de mer relativement étroits, s’étend jusqu’à vers le 83e degré, (à environ 800 kilomètres seulement du pôle), et le Groenland, qui n’est séparé de cet archipel que par le détroit de Smith, atteint une latitude du même ordre. Cette circonstance n’est pas la seule qui ait amené la majorité des expéditions polaires à opérer dans ce secteur ; il y faut joindre l’émulation causée par la recherche du célèbre passage du Nord-Ouest, et aussi le fait que le pôle magnétique, découvert par lord Ross en 1833, se trouve dans cette région ; il y faut joindre encore l’amour-propre national des Américains. Piqués au jeu par les découvertes que les Anglais (lord Ross, John Franklin, etc., étaient Anglais) avaient faites dans ce domaine que les Américains considéraient comme étant une zone d’influence des États-Unis (bien que ce pays n’ait eu pendant longtemps aucune voie d’accès directe sur l’océan Glacial, puisque l’Alaska ne leur a été cédé par la Russie qu’en 1857), ceux-ci ont dépensé des efforts extraordinaires dans la région du détroit de Smith. L’histoire de ces tentatives est trop connue pour que nous y revenions et nous arrivons enfin aux expéditions du contre-amiral américain Robert Peary.

On a beaucoup discuté et, avouons-le, on discute encore beaucoup sur le mérite et la réalité même de la découverte du pôle par Peary. Celui-ci, dans le moment même qu’il annonçait cette découverte, fruit des nombreuses expéditions qu’il avait poursuivies avec une inlassable énergie, a eu la malchance de trouver en face de lui le célèbre Cook, qui réclamait la priorité de l’exploit. Le monde entier s’est demandé alors si, suivant l’amusante expression de M. Edouard Blanc, le Sphinx avait le même jour rencontré deux Œdipes. On sait comment Cook fut démasqué et reconnu pour un vulgaire imposteur... à moins qu’il ne fût un halluciné, et comment Peary resta seul postulant au titre glorieux de conquérant du pôle. Mais un peu du discrédit dans lequel était tombé Cook rejaillit bon gré mal gré sur son compatriote. On insinua de divers côtés que Peary avait pu, sinon vouloir nous tromper, au moins se tromper. On prononça même le mot de