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présentent ni comme un héros ni comme un bandit. Les terribles châtimens du régicide, ils ne les blâment ni ne les approuvent : ils les constatent. Et, leur criminel, sans l’incriminer davantage ou le disculper, ils le constatent, satisfaits de savoir la tête qu’il avait, et le cœur, et l’âme.

Telle est La tragédie de Ravaillac, étrangère à cette époque-ci, étrangère à toute « actualité » contemporaine. Et tels sont tous les ouvrages de MM. Jérôme et Jean Tharaud. Les frères ennemis : deux jeunes hommes de la Renaissance qui, dans Genève, ont affaire à la frénésie répandue par Calvin ; les auteurs ne prennent aucunement parti dans la querelle de ces théologiens. Mais l’un des frères est de race italienne (ils ne sont frères qu’à demi) : et le plaisir sera de voir comment se mêle une théologie du Nord avec de chaudes et voluptueuses velléités méridionales. Dingley, l’illustre écrivain : un romancier de Londres, féru d’impérialisme et qui a consacré tout son génie au fougueux idéal de l’universelle Angleterre ; les auteurs ne jugent pas son ambition. Mais Dingley, impérialiste dans le bonheur, a des chagrins qui tourmentent sa splendide et brutale énergie : et le plaisir sera de voir comment une idéologie dépend de quelques accidens, de hasards, les dompte et, en quelque mesure, leur cède. Bar-Cochebas : un petit juif de Buda-Pesth, qui, ayant lu le Cid, se tuera, faute de tuer les insulteurs de son père ; les auteurs ne se montrent ni antisémites ni philosémites. Mais le plaisir sera de voir comment l’idée française ou espagnole de l’honneur travaille dans l’esprit d’une race qui ne l’a pas inventée pour son usage. L’Ami de l’ordre, les Hobereaux, la Maîtresse-Servante, la Fête arabe traitent, et pareillement, d’autres sujets de la même espèce. Après Genève calviniste, Londres agité par la guerre du Transvaal, la Hongrie et ses nombreux échantillons ethniques, voici Paris sous la Commune, le Périgord pendant la guerre allemande, le Limousin que l’intrusion parisienne démoralise et l’oasis algérienne bouleversée par les Latins. Dans le temps et dans le monde, grands liseurs et grands voyageurs, MM. Jérôme et Jean Tharaud promènent une remarquable curiosité. Les quelques volumes qu’ils ont signés contiennent déjà bien des siècles et bien des pays, des fragmens de siècles et de pays, mais aussi des fragmens où ils enferment beaucoup de durée et d’espace. Le décor et le paysage tentent leur pinceau et leur crayon. Ce qui les tente davantage, c’est la diversité de l’âme humaine. Chacun de leurs sujets : un état de l’âme humaine, qu’ils étudient pour le seul plaisir de la connaître.