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leur philosophie. Mais le récit des faits ne va-t-il pas nous mener, tout bonnement, au roman d’aventures ? Et nous reviendrions au père Dumas. Disons, pour que cet inconvénient nous soit épargné : le récit par les faits.

Il y avait, dans l’existence de Ravaillac, tous les épisodes les plus aguichans pour le romancier. MM. Jérôme et Jean Tharaud ne se contentaient pas de cette aubaine. Le sujet de leur « tragédie, » ce n’est pas seulement l’histoire de Ravaillac, mais ce problème-ci : comment, à la fin du XVIe siècle et au début de l’autre siècle, un pauvre enfant très dévot de l’église a-t-il tourné au meurtre ? Le sujet de leur « tragédie, » c’est l’analyse de cette dépravation singulière. Et, de cette manière, le sujet de leur « tragédie » a quelque analogie avec le sujet de Britannicus où l’on voit comment « les délices de Rome en devinrent l’horreur. » Je ne songe pas à comparer Britannicus et La tragédie de Ravaillac plus amplement. Mais enfin l’art de MM. Jérôme et Jean Tharaud, je le rapporterais plus volontiers à l’esthétique racinienne qu’à nulle autre : le père Dumas, je ne l’ai cité que pour le contraste. La tragédie de Ravaillac mérite ce nom de « tragédie : » ce n’est pas un petit éloge ; et c’est l’indication d’un art très dégagé des influences romantiques, d’un art, — à vrai dire, — classique. Classique sans imitation des dehors, mais classique par nature, dans son essence même, comme dans ses moyens, comme dans ses procédés, comme dans son vocabulaire et comme dans tout le détail de son arrangement.

Peut-être, en lisant La tragédie de Ravaillac, n’évitons-nous pas de nous demander pourquoi l’on nous raconte cette histoire. Que nous veut-on ? Ravaillac, nous ne pensions pas à lui !...

Je crois que nous éprouvons, d’un bout à l’autre de ce livre, ce sentiment, qui n’est pas sans nous détacher un peu du livre et de son intérêt. Nous avons accoutumé de prétendre qu’un livre soit une réponse à quelqu’une de nos curiosités ou de nos inquiétudes. Et, ce Ravaillac, nous l’avions oublié ; nous vivions sans lui.

Mais il est, ce Ravaillac, un anarchiste ! Et sommes-nous si légers qu’en un temps de si rude anarchie, le nôtre, un tel garçon ne nous importe guère ?... Oui ! Seulement, ce n’est point l’anarchiste ni l’anarchie que MM. Jérôme et Jean Tharaud examinent : c’est Ravaillac, et tout uniment lui. Vers la fin du volume, ils mettent en parallèle Ravaillac et le misérable Caserio ; mais ce n’est que pour affirmer les singularités de Ravaillac. Il ne résulte pas de leur ouvrage une théorie de l’anarchisme, ni même une opinion ; leur anarchiste, ils ne le