Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 15.djvu/217

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

langage, qui est le bon langage français, avec peu de mots, les mots utiles, — mais aucune pensée ne réclame beaucoup de mots ; — sans néologismes : si l’on n’ignore pas la signification des mots qui sont le vocabulaire autorisé, l’on ne manque pas de mots et l’on n’invente pas de mots qui, étant neufs, n’éveillent dans l’esprit nulle idée. Si l’on aime son art, on ne détraque pas son outil, comme font les mauvais écrivains, gaspilleurs de mots.

MM. Jérôme et Jean Tharaud ont le souci d’écrire bien, d’écrire bref. Ils aiment une élégance serrée, voire un peu sèche ; et Joubert les eût estimés, qui a écrit : « Génies gras, ne méprisez pas les maigres ! » Ils ne sont pas très curieux, probablement, de donner à leur phrase une qualité musicale : ils veillent à son harmonie, mais ils ne comptent pas sur les sons pour évoquer leur pensée. Ils n’appellent pas la poésie et ses ressources mélodieuses au secours d’une prose qui est exactement de la prose et fort bien. Plutôt que des musiciens, ne seraient-ils pas des peintres et, mieux encore, de vigoureux dessinateurs qui, avec peu de traits, campent une attitude ?

D’ailleurs, ils ne dessinent pas pour le seul plaisir de tracer et de combiner des lignes belles ou adroites. La virtuosité, aux tentations de laquelle cèdent si aisément d’autres artistes, n’est pas leur fait ; et il y a de l’austérité dans leur façon de se borner à leur propos, sans le dépasser jamais. La chose dite, ils n’ajoutent rien, quand d’autres artistes ajoutent et ajoutent !... Ils ont le talent de marquer un geste qui caractérise un personnage, à l’instant où ce personnage modifie la série des événemens ; et ils ont l’abnégation de ne pas marquer un geste, fût-il admirable et même fût-il amusant à esquisser, un geste sans conséquence.

Voici la règle de MM. Jérôme et Jean Tharaud : le récit d’abord ; et soumission de tout le reste à l’exigence première du récit.

Les commentaires, les confidences de l’auteur, ces gloses qui, des notes ou des marges, montent ou rampent jusqu’au récit, se glissent dans sa vive substance, s’y introduisent et l’encombrent, MM. Jérôme et Jean Tharaud les suppriment. Mais ils ne pourraient pas les supprimer, s’ils n’avaient, dans ce qu’ils laissent, mis tout ce qu’il faut de solidité, de réalité claire et de richesse ramassée. Ils l’y ont mis. C’est ainsi qu’ils accomplissent le chef-d’œuvre d’un art robuste et prompt.

Le récit des faits. Ils ne sont pas de ces écrivains très ingénieux et appréciables qui, avec très peu de matière, composent un roman, le roman de leur rêverie, l’essai de leur badinage, le malin poème de