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le Roi et le meurtrier, comme des voyageurs qui se hâtent, devancent le point où ils sont, devancent les minutes après lesquelles l’un et l’autre vont se rencontrer. Et ils approchent enfin du carrefour. Ils se rencontrent. L’acte s’accomplit.


Je ne crois pas,— mais aussi je n’ai pas l’imprudence de l’affirmer, — que l’historien le plus averti ait à signaler des fautes graves dans le livre de MM. Jérôme et Jean Tharaud. Du moins semble-t-il que les faits principaux et le détail du récit reposent sur de valables documens.

MM. Jérôme et Jean Tharaud cherchaient la vérité, non le pittoresque : et ce fut, pour eux, la bonne sauvegarde, s’il n’est certainement rien de plus périlleux, et puéril, et vain, que la recherche du pittoresque. Ils ont évité ce défaut. Et même ils désiraient plutôt que leur récit ne fût aucunement pittoresque, suivant le conseil du plus intelligent historien romain, Salluste, qui raconte les aventures de Jugurtha ou de Catilina quo minus mirandum sit, de telle sorte que la lecture en soit aussi peu déconcertante que possible. Le pittoresque nous étonne ; et, s’il nous amuse, c’est en marquant très fortement la différence des spectacles ou des sentimens qui nous sont familiers et de l’objet qu’il s’applique à orner de nouveautés surprenantes.

L’auteur de La reine Margot nous divertit de cette façon, s’il nous divertit. Salluste, lui, ne souhaite que de nous rendre intelligible l’âme d’un Jugurtha ou d’un Catilina ; pareillement, MM. Jérôme et Jean Tharaud, l’âme de leur Ravaillac. Alors, il ne faut pas nous déconcerter, mais au contraire nous familiariser avec ces âmes si étranges.

D’autre part, il faut se garder d’amener à nous ces âmes ; c’est nous qu’il faut conduire à elles. Certains historiens faussent tout, en ayant trop de complaisance à l’endroit du lecteur moderne, quand ils modernisent excessivement l’antiquité ou l’ancienneté, quand par exemple ils nous présentent la belle anecdote emblématique d’Antoine et de Cléopâtre comme les simples et un peu vulgaires amours d’un militaire qui déclin e et d’une petite femme qui a besoin d’appui. La vérité historique n’est ni dans le pittoresque ni dans la vulgarité. Elle peut être pittoresque, involontairement ; et elle nous devient familière au moment où l’on nous a fait sentir, toucher ce qu’il y a d’humanité permanente sous les dehors variés des époques. MM. Jérôme et Jean Tharaud ne s’y sont pas trompés : c’est l’un des mérites, l’un des agrémens de leur ouvrage. Et, partant d’un juste principe, ils ont procédé avec ce tact qui révèle les artistes parfaits.

Ils sont des artistes parfaits. Tout d’abord, on s’en aperçoit à leur