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derrière elle et resta là, les mains jointes, tandis qu’elle recevait l’hostie, avec l’espoir qu’un peu de cette rosée de grâce qui allait descendre sur elle retomberait peut-être sur lui. » Ce trait, MM. Jérôme et Jean Tharaud l’ont emprunté au témoignage même de Ravaillac, à ses aveux et récits épars. Il est d’une vérité manifeste. Il est extraordinaire et joli. Le pauvre diable, à qui Dieu n’a point répondu, ne sait pas si Dieu l’approuve ou, du moins, lui pardonne. Il lui manque l’assurance de ne pas défendre Dieu malgré Dieu ; et, dans le doute qui le martyrise, il n’ose pas recevoir l’hostie. Il se tient à quelque distance, humble infiniment. Il se tient à peu de distance, pour être là, aux alentours de la grâce, et en recueillir les bribes égarées. Puis n’a-t-il pas une sorte de confiance obscure ou de vague espoir qu’entre sa mère et lui subsistent ces liens qui unissent les âmes et font participer l’une aux vertus de l’autre ? Tout cela, dans ses ténèbres spirituelles, bouge, apparaît, disparaît comme des lueurs.

Il est en route. Il hésite encore. Il a un couteau. Un jour, il en brise la pointe. Ensuite, un jour, il l’aiguise sur une pierre et lui refait une pointe. Il a des remords ; et bientôt il craint que ses remords ne soient des faiblesses, des langueurs de son dévouement religieux. Il est un endroit où se rassemblent des idées, celles-ci venues de lui, celles-là venues d’ailleurs, des idées pareilles à des gens qui se réunissent pour des disputes. Tels de ces gens, qui n’ont pas raison, parlent plus fort que personne et ont le dernier mot ; ou bien, ils parlent sur un ton qui séduit les multitudes, les charme, les entraîne. Il y a des multitudes, dans l’âme du pauvre Ravaillac, des multitudes que secouent des orateurs perpétuels et divers. Mais une voix domine les autres et ordonne de tuer le Roi.

Le Roi, de son côté, a des pressentimens. Il est troublé, inquiet et annonce qu’il mourra bientôt. Il ne sait pas d’où l’avertissement lui vient. « L’homme du rocher d’Angoulême n’a pu encore arriver jusqu’à lui, pénétrer dans son Louvre ; mais déjà il le frappe d’une main mystérieuse. Sa présence invisible, ses pensées forcenées forment autour du Roi on ne sait quel triste concert qu’il est seul à entendre, et partout il voit la mort. » Le même jour, à la même heure, le Roi est à Saint-Roch, pour y entendre l’office ; et Ravaillac est à Saint-Benoît, pour la messe. Le Roi devine qu’il est sur le point de mourir, tandis que Ravaillac, à genoux, médite la mort du Roi. Et le Roi dit à Bassompierre, qui l’encourage en lui parlant de belles femmes : « Mon ami, il faut quitter tout cela !... » Il est mélancolique ; l’homme du rocher d’Angoulême l’est davantage. Chacun d’eux sur son chemin,