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paroisse, circulent, comme des troupes vagabondes, les fausses nouvelles, les mensonges de sottise ou de malignité : l’on raconte que, pour la Noël, le Béarnais fomente une Saint-Barthélémy de tous les bons catholiques. Sur la grand’route circule aussi ; farouche et entêté, Ravaillac. Les troupes de mensonges et de nouvelles fausses, il les croise et lie compagnie avec elles. Dès lors, il se dépêche. Il a hâte d’être à Paris, afin de formuler, devant le Roi, ses remontrances.

Il va au Louvre ; mais on lui refuse l’entrée. Il insiste ; on l’éconduit. On le fouille : il n’a rien sur lui, ni un couteau, ni aucune arme. Et il s’éloigne.

Les deux lignes sinueuses de ces destinées qui se cherchent se sont un instant presque jointes ; puis elles s’écartent.

Chassé, Ravaillac renoncera-t-il au salut de la catholicité, salut qu’il a conscience de tenir entre ses mains ? Non, certes. Mais il pose la question de savoir si la religion l’autorise à employer, pour ce devoir, le seul moyen qu’il ait à sa disposition désormais et qui est, faute de voir le Roi et de le convaincre, de le tuer. Ce problème, au bout du compte, l’embarrasse. Et il consulterait volontiers un prêtre. Seulement, il se méfie : avant de hasarder cette démarche, il épilogue avec lui-même ; il n’aboutit point à une certitude. Il interroge des religieux et leur demande si un confesseur est tenu de révéler la confession d’un gaillard qui, devant lui, s’est ouvert de son projet de tuer le Roi. Les religieux le prennent pour un sot et l’envoient promener. L’un d’eux l’engage à dire des chapelets, à manger de bons potages et à retourner dans son pays. C’est la sagesse, mais offerte à un garçon qui n’est pas sage : en d’autres termes, ce n’est rien.

Obéissant tout de même, Ravaillac retourne à Angoulême. Vient le temps pascal : et il jeûne, il fait de longues pénitences. Or, il entend que le Pape a menacé d’excommunication le roi Henri, lequel répondit que, si le Pape l’excommuniait, il le déposséderait. Et alors, lui, Ravaillac, ne dort plus : il se remet en route.

Avant de partir, il voudrait communier. Il se confesse à Dieu, directement ; et il attend que Dieu, par un signe, lui donne permission d’aller à la sainte table. Aucun signe ; un grand silence, où fait seule du bruit son inquiétude. Il invente alors un stratagème à peu près charmant et que voici : « Quand le matin fut venu, il se rendit, en compagnie, de sa mère, dans l’église Saint-Paul où il avait été baptisé. Il entendit la messe, puis, au moment de communier, il accompagna la vieille femme dans la petite procession qui se dirigeait vers l’autel. Lorsqu’elle se fut agenouillée devant la sainte nappe, il se mit debout