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Le jeune Ravaillac est valet de chambre et clerc chez un tabellion. A l’église, où il fréquente avec assiduité, il entend les prédicateurs flétrir le roi renégat et, fort éloquens, dérouler la persuasive anecdote de Judith honorée pour le meurtre d’Holopherne. La vie qu’il mène, pauvre vie de paresse et d’abjection, ne l’occupe guère : sa véritable vie est ailleurs que dans son activité quotidienne, dans sa pensée qui n’a aucun emploi et qui va bon train comme des nuages sous le vent.

Il quitte Angoulême et vient à Paris solliciter des procès. Il a dix-huit ans ; il n’est qu’un saute-ruisseau de la basoche. Mais, tandis qu’il a bien l’air de s’agiter autour de mille intérêts procéduriers, il examine les « secrets de la providence éternelle ; » de jour et de nuit, il a des révélations et les interprète au gré de sa terrible fantaisie. Un peu plus tard, il entre aux Feuillans, comme frère convers. Les jeûnes lui échauffent la cervelle. On s’aperçoit qu’il est un visionnaire ; et on le chasse. Il retourne à Angoulême et vit auprès de sa mère, indigente. Moyennant un peu de blé, de lard et de vin, il enseigne à des écoliers le catéchisme catholique et romain. Mais bientôt il doit quarante-neuf livres, dix sols, trois deniers : oh le met en prison.

A la prison comme à la maison, comme dehors, il n’est hanté que d’un souci : la France aux mains de l’hérésie. Une fois libre, il part, afin de parler à ce roi qui ne cesse de le hanter : il l’avertira de faire la guerre aux gens de la religion prétendue réformée. Mais si le Roi ne cède pas ? Ravaillac n’a point encore décidé d’être la Judith nouvelle.

A dater de ce moment, il y a, dans la tragédie de Ravaillac, deux personnages : Ravaillac et le roi Henri. Tout les sépare : les distances matérielles et les autres, celles qui semblent infranchissables. Ravaillac et le roi Henri sont prodigieusement étrangers l’un à l’autre. Le roi Henri ne sait pas l’existence de Ravaillac : et Ravaillac lui-même ne sait pas qu’il tuera le roi Henri. Pourtant le Roi et le garçon perdu ne font pas un geste qui ne prépare et leur approche et enfin leur rencontre. Les hasards travaillent dans l’ombre ; et on les dirait concertés.

Cette extraordinaire combinaison des incidens, MM. Jérôme et Jean Tharaud l’ont développée avec une habileté parfaite. Ils nous mènent au Louvre, où le Roi, vieil énamouré, se fait lire l’Astrée ; et la ferveur galante des bergers surexcite en lui jusqu’à la passion le caprice qu’il a pour Mlle de Montmorency, enfant mutine : celle-ci, nymphe dans un ballet de la Cour, a simulé de lui lancer au cœur un javelot. Ce javelot d’amour, en attendant le poignard de la haine, comme si une allégorie annonçait une réalité. Puis nous sommes transportés sur la grand’route qui va d’Angoulême à Paris. Sur la grand’route, de paroisse en