Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 15.djvu/212

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le ciel, plein de lumière et où la mer toute proche lance les flottes de ses nuages.

La description d’Angoulême, au début de ce livre, occupe trois pages que j’ai peine à résumer, tant elles sont denses et composées des seuls détails caractéristiques. Dès l’abord, on est informé des volontés de cet art, très riche et bref, qui élimine beaucoup sans s’appauvrir, qui tasse fortement ce qu’il garde, et qui pourtant a le secret de ne point écraser son trésor : il ne laisse pas de bourre entre les objets, il y laisse passer de l’air.

Angoulême, durant la jeunesse de Ravaillac, est peuplée de prêtres et de moines. Les sanctuaires, nombreux sur ses pentes, sont démolis. La campagne environnante est huguenote ; la cité, hardiment catholique, orgueilleuse et inquiète.

Le père de Ravaillac, un ivrogne. Sa mère, tendre et pieuse. Le petit Ravaillac est dévot. Toute son histoire sera l’histoire de sa dévotion, qui aura mal tourné. Pendant que nous verrons cet étrange garçon s’acheminer au crime, nous verrons aussi une idée se corrompre, la plus belle idée, l’idée religieuse, devenir une maladie dans une âme. Et, si l’aventure de Ravaillac est émouvante, le spectacle des tribulations qu’une idée subit sera encore plus pathétique. Les idées gouvernent le monde ; mais il arrive que ces impératrices du monde deviennent folles. Les annales de l’humanité en témoignent, pour l’effroi du lecteur.

La dévotion du petit Ravaillac est un sentiment qu’il tient de sa ville natale et de sa mère, un sentiment où il y a de la douceur rêveuse et de la politique. Les catholiques d’Angoulême ont redouté que leur ville fût livrée aux huguenots du roi de Navarre. Maintenant, le roi de Navarre possède la France. Le petit Ravaillac a hérité la peur et la haine qui, depuis des années antérieures à lui, tourmentent les esprits et les cœurs, là-bas, sur le rocher d’Angoulême. Ses oncles, Nicolas et Jean Dubreuil, chanoines de la cathédrale, lui apprennent à lire, le promènent dans les ruines des couvens et des chapelles, lui montrent le mûrier où les Huguenots ont pendu le gardien des Cordeliers : « ces propos et tout ce qui monte de colère et de ressentiment d’un tas de pierres noircies, ce furent là les voix moroses qu’entendit le jeune enfant. » Et, comme il est difficile d’analyser par le menu ces influences du sol et de l’atmosphère, une image les résumera : « En août, on voit fleurir sur les pentes d’Angoulême une bizarre fleur soufrée, de la giroflée sauvage ; son air est misérable et son parfum violent : elle fait songer à Ravaillac, triste fleur de ce rocher catholique. «