Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 15.djvu/211

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souvenirs et correspondances, les recueils de pièces et d’archives. C’est ce que fait un historien. Le romancier ? Quand ils ont dénombré les sources de leur information précise, ils ajoutent : « Voilà certes de beaux documens et qui invitent à rêver. Mais pour en sentir tout le prix, il faut, les ayant vus, faire le tour des remparts d’Angoulême et, remontant la Charente, aller jusqu’aux prairies de Touvre, sous le château ruiné auquel la tradition populaire rattache par un sentiment profond la mémoire de Ravaillac, au bord de ce gouffre glacé sur lequel assurément, comme tous les enfans du pays, il est venu pencher son visage, et dont les eaux mystérieuses qu’agite un bouillonnement perpétuel semblent retenir encore l’ombre de son âme tourmentée. »

Je ne crois pas qu’il fût possible de mieux déterminer le caractère et aussi les règles d’un genre qui désormais, ayant reconnu ses conditions, florira de nouveau.

Ce n’est pas tout à fait de l’histoire ; c’est, tout à côté de l’histoire, une vivante hypothèse. On a dit que l’histoire était déjà une petite science hypothétique : à la minute où elle s’écarte des documens, oui. Mais elle contient aussi le document, qui a sa valeur brute. Astreinte au seul document, elle n’est, je l’avoue, que de la mort embaumée. L’imagination dégage de ses bandelettes ce cadavre d’un Lazare qui soudain marche, parle et, sur sa mobile physionomie, montre son âme. Science et poésie ont accompli ensemble ce miracle qui n’a nulle analogie avec les machinations des pères Dumas.


MM. Jérôme et Jean Tharaud prennent leur triste héros tout petit. Le voici, bambin, dans les rues d’Angoulême, cité âpre et rude. Le roc où est perchée Angoulême « la porte très haut dans le ciel comme une couronne royale. » Sa cathédrale lève devant l’horizon large une façade « pareille à une main de paix. » Des remparts l’entourent, qui la fortifiaient et qui sont devenus un promenoir mélancolique. Un climat très sec : les pierres ne moisissent pas ; elles se dorent et elles « donnent à cette ville de l’Ouest une imprévue couleur d’Orient. » Une vallée où se mêlent toutes les nuances du bleu. Une rivière : « tout ce qu’elle touche est riant, aimable comme l’esprit des Valois qui sont nés sur ses rives ; ce qu’elle laisse sur sa gauche est morne, désolé, violâtre ; la mousse, le genêt, le buis jaune et le pauvre genévrier, quelques cyprès s’y élancent : c’est triste comme Ravaillac. » La désolation de la Judée ; et les coteaux « qui produisent l’eau-de-vie la plus embaumée du monde. » Mais la principale beauté du paysage est