Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 15.djvu/210

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

polémique républicaine : c’est tout de même le résultat de son œuvre. Or, il paraît que toute une jeunesse apprit dans ses livres si attrayans l’histoire de France. Son monument, par Gustave Doré, montre l’ouvrier, la mère et l’enfant si assidus à le lire et à le croire qu’on en ressent la plus vive inquiétude ; et l’on voudrait les avertir.

Ces romantiques, qui avaient tant d’imagination, qui inventaient avec un tel entrain ce qu’ils ne savaient pas, n’auraient-ils pu, n’auraient-ils dû laisser l’histoire un peu tranquille ? Pourquoi ne plaçaient-ils pas dans la lune ou ailleurs, n’importe où, leurs personnages si peu humains, leurs anecdotes si peu réelles ? Le passé ne réclame point notre unique admiration ni même, d’un bout à l’autre, notre amitié. Il se contenterait de notre indifférence ; ou bien il mérite notre bonne foi scrupuleuse, attentive. Et, le roman historique, tel qu’on le pratiquait jadis ou naguère, c’est une grosse entreprise de légère et insupportable diffamation.

Notre temps, qui a gâté beaucoup d’idées, qui en a même avili plusieurs, a pourtant amélioré l’idée de l’histoire. Nous avons, mieux qu’autrefois, le respect de la vérité ancienne. La méthode de nos recherches a pris une excellente finesse, nous aimons les documens et leur juste commentaire, les faits authentiques et la rigueur méticuleuse du récit. Mais alors, n’est-ce pas la fin de ce genre qui eut de la vogue, le roman historique ?

Non pas ! Et, au contraire, plus sévère sera l’idée de l’histoire, plus elle réservera auprès d’elle la place du roman. Voire, si l’histoire se borne à consigner les fragmens d’incontestable réalité qu’elle attrape dans le désastre des époques, elle laisse au romancier le soin d’une résurrection plus hardie.

Plus hardie, mais encore prudente ! Un père Dumas fausse tout. Ce qu’il emprunte à l’histoire, c’est l’occasion, le prétexte de ses folles fantaisies ; c’est le pittoresque dont il abusera ; et c’est le commencement d’une combinaison qu’il s’ingéniera, bien doué, à munir de complications abracadabrantes.

Le roman historique qu’une honnête idée de l’histoire tolère et même encourage est, comme l’histoire, soucieux de vérité : il souhaite de donner la vie à la réalité de l’histoire. Il est un art d’imagination ; mais cette imagination, très érudite et soumise, ne se livre point à son démon : elle invente de la vérité, du moins le veut-elle.

MM. Jérôme et Jean Tharaud, pour écrire leur Tragédie de Ravaillac, ont assemblé tous les témoignages utiles, le Procès, les histoires de Péréfixe, du P. Mathieu, de Mézerai, de Daniel, de Boulanger, les mémoires,