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étroites, elle tend, depuis le christianisme, à embrasser la société humaine tout entière. Il faut donc que la morale soit, non seulement naturelle et non seulement individuelle, mais encore universelle, c’est-à-dire qu’elle recherche la commune loi de la nature, de l’individu et de la société. Les trois idées dominatrices : nature, personnalité, collectivité, doivent être réconciliées en un tout qui satisfasse à la fois les besoins scientifiques et philosophiques de l’esprit moderne. La vraie morale sera donc indivisiblement une œuvre de conscience individuelle et de conscience collective.

Toute société a besoin d’idées-forces communes. Ces idées, qui deviennent une sorte de trésor social, ont pris dès la plus haute antiquité la forme religieuse. A la horde correspondait généralement la croyance aux esprits, au clan l’animisme, à la Cité le polythéisme, à la grande vie nationale et internationale le monothéisme. Nous trouvons partout et toujours, dans l’histoire des sociétés, des représentations collectives qui enveloppaient une philosophie du monde et de la vie ; aujourd’hui, nous sommes témoins d’une sorte d’anarchie intellectuelle qui enlève à notre civilisation moderne sa force d’action morale en même temps que de création esthétique et de transformation sociale.

Où va notre société actuelle ? Elle semble l’ignorer. Ce qu’elle veut, elle ne le sait guère. Les fins les plus hautes et les plus désintéressées demeurent noyées dans la brume ; dès lors, au lieu de travailler pour l’incertain, la plupart des hommes s’attachent au certain, c’est-à-dire à ce qu’il y a de plus rapproché, de plus immédiatement utile, à ces intérêts dont Marx veut faire les seuls moteurs de l’histoire, dont les pragmatistes osent faire les moteurs de la science même et de la philosophie. De là à l’égoïsme universel il n’y a qu’un pas. C’est donc un but clairement défini qui nous manque, c’est une idée directrice qui s’impose à tous les esprits. Que derrière tous les nuages brille une étoile au ciel des idées, hommes et peuples iront à l’étoile.


ALFRED FOUILLEE.