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la morale, mais en elle-même, elle n’est pas encore la morale ; elle fait partie de la philosophie première, qui, outre le réel ultime et le vrai ultime, cherche le bien ultime. Sans la réalité immatérielle qui est dans les phénomènes matériels, il n’y aurait pas de psychologie ; sans la vérité intelligible, qui est au fond de toutes les relations saisies par l’intelligence, il n’y aurait pas de logique ; sans le bien, qui est également au fond du réel et du vrai, il n’y aurait pas de morale. La philosophie voit partout et en tout l’être, le vrai et le devoir-être ; je veux dire que rien ne lui paraît fixé et immobilisé dans l’existence du fait actuel ; elle érige ce fait même en vérité par l’intelligibilité qu’elle y montre, puis elle voit au delà du fait la tendance à changer et à changer en mieux, au delà de ce qui est, ce qui peut être, ce qui doit être.

Pour accomplir cette partie de sa tâche, qui en est l’achèvement, elle ne se place pas au point de vue de nos fins proprement humaines, mais elle subordonne ces fins elles-mêmes à quelque chose qui les explique en les dépassant.

Ce que la philosophie actuelle doit retenir des doctrines qui introduisent les considérations morales dans la spéculation métaphysique, c’est que la philosophie ne peut pas se réduire à une sorte de science froide et de miroir glacé, comme les sciences qui portent sur des objets extérieurs et sur leurs relations dans l’espace et dans le temps. C’est l’être tout entier, l’être intime, qui est l’objet de l’interprétation philosophique, c’est l’être à la fois pensant, sentant et voulant ; c’est, si l’on veut, le « cœur » en même temps que l’intellect. Il en résulte une perpétuelle intervention de tous les élémens de notre être dans les grands problèmes philosophiques qui intéressent précisément notre être tout entier. La philosophie est l’usage réfléchi et motivé de toutes nos puissances intimes pour pénétrer l’intimité du réel ; de même que la religion est l’usage spontané, imaginatif et sentimental, de ces mêmes puissances. Il y a longtemps que Platon lui-même a dit : il faut philosopher avec toute son ame, non seulement parce que toute l’âme n’est pas trop pour rechercher la vérité dernière touchant la réalité, mais parce que l’âme entière est la réalité même parvenue au point le plus haut de son évolution. On a donc le droit, quand on interprète le monde, de placer au fond des choses le germe de tout ce que nous trouvons développé en nous-mêmes.

Outre cette tâche spéculative et indivisiblement morale, la