Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 15.djvu/200

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par toutes les données sensibles. Pour la dégager, pour montrer qu’elle est la condition de toutes nos opérations intellectuelles et de toutes les démarches de notre volonté, il faudrait avoir épuisé les ressources de la méthode à la fois expérimentale et conceptuelle.

De plus, si une telle intuition existe, elle sera seule de son espèce et il n’y aura qu’une seule intuition supra-intellectuelle. Or les intuitionnistes semblent multiplier les intuitions de ce genre. Tantôt ils nous disent que nous avons, en nous, l’intuition du libre arbitre, d’une liberté créatrice qui ne dépend pas de ce qui existait avant elle, qui, indépendamment de son propre passé et du passé de l’univers, peut créer du nouveau en dehors de la loi qui régit les effets et leur rapport aux causes. Est-ce là une intuition distincte de celle du divin, de celle de l’acte créateur du monde et de nous-mêmes, ou ne serait-ce pas une intuition identique à celle-là ? De même, on nous dit que nous avons l’intuition de la vie comme d’un élan toujours créateur. Cette vie, qui semblait d’abord simplement ce qu’on entend d’ordinaire par se sentir vivre ou laisser vivre, devient alors la vie divine en nous, la liberté divine accomplissant par nous son œuvre créatrice. On nous attribue enfin l’intuition de l’essence de la matière, et il se trouve que cette essence est encore la vie en un moment de descente et de recul.

Nous ne sortons pas, en définitive, de l’intuition du réel absolu créant le monde en nous et par nous, comme dans et par les autres êtres.

Quelque séduisant que soit ce nouveau panthéisme et quelque opinion que l’on ait sur sa vérité intrinsèque, toujours est-il qu’il est un système philosophique et même religieux.

Or, si de tels systèmes sont plausibles, c’est uniquement au point de vue de l’idée et de la pensée, comme expression de la dernière démarche de la pensée même, de la dernière idée à laquelle elle aboutit ; mais ils sont insoutenables au point de vue de l’intuition, qui ici plus que jamais est contradictoire. Avoir l’intuition de l’Etre des êtres par le dedans, le voir comme il se verrait s’il se voyait, comme il se voit s’il se voit, c’est chose invérifiable, car on ne peut sauter au-dessus de sa tête, sortir de sa volonté pour saisir la volonté, transcender sa vie pour devenir la vie. — C’est là, de plus, une contradiction dans les termes, car une telle intuition ne serait exacte et vraie que si