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longtemps mis en lumière l’avenir de la « métaphysique fondée sur l’expérience. »

Mais qu’est-ce qu’on entend au juste par la vie ? Est-il vrai que cette idée soit plus claire et plus fondamentale que celle d’être et celle de pensée ? Nous ne le croyons pas. Quand nous disons : « Je vis, » nous voulons dire : j’ai conscience d’exister en relation avec d’autres êtres qui agissent sur moi par la sensation et sur lesquels je réagis par la motion. En d’autres termes, j’ai conscience de sentir et d’agir, de me mouvoir, de mouvoir et d’être mû. Toutes ces idées impliquent celle d’existence et celle de conscience discernant l’actif et le passif, le sujet et l’objet ; elles impliquent le sum et le cogito, qui restent les vraies idées fondamentales de toute philosophie. La nature de la vie, comme celle de la matière, sont parmi les objets de la philosophie ; elles ne sont pas son objet même, qui est toute la réalité ; on n’a donc pas le droit d’introduire d’avance dans la définition même de la philosophie une solution préconçue, celle du vitalisme universel.

Si la philosophie présente ne peut plus se contenter de simples concepts, elle ne peut pas davantage, croyons-nous, se contenter d’intuitions qui nous révéleraient, dit-on, les réalités par un sentiment immédiat de ce qui est comme il est.

Au sens exact, l’intuition d’une réalité consisterait à la voir telle qu’elle se verrait si elle pouvait se voir. En conséquence, l’intuition serait adéquate à son objet ; cet objet étant, comme toute vraie réalité, unique en son genre et spécifique, l’intuition aurait le même caractère. Toute vraie réalité étant encore, selon les intuitionnistes eux-mêmes, matériellement indécomposable en élémens, continue, indivisible et simple, l’intuition devrait encore offrir la simplicité indivise d’une vision qui embrasse tout d’un seul regard, sans que rien lui reste opaque ou impénétrable. Noble et généreux rêve, assurément, dont la réalisation constituerait la plus grande des découvertes philosophiques et nous mettrait enfin en possession de l’absolu. Malheureusement, l’intuition ainsi entendue est invérifiable et impossible à constater. Comment constater que j’atteins la réalité absolue et qu’il n’y a rien, dans mon « intuition, » de relatif à ma nature propre, à ma constitution mentale ? Comment constater que tels et tels autres philosophes ont eu la vision du réel absolu, face à face ? Comment, en un mot, distinguer le « voyant » du « visionnaire ? »

Non seulement l’intuition, avec sa simplicité irréductible, est