Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 15.djvu/195

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’expérience, ils la méprisent sans cesse, puisque, au lieu de l’interroger, ils interrogent nos désirs intérieurs.

Sans doute la philosophie première n’a pas, comme la science positive, la ressource de vérification expérimentale, mais ce n’est pas à dire que le choix des idées philosophiques doive être uniquement réglé par nos besoins ou désirs. Là où manque la possibilité de vérifier, la ressource du philosophe, à l’avenir comme dans le passé, sera de rechercher ce qui établit entre nos idées la plus grande concordance, de manière qu’elles forment un tout bien lié, sans contradiction interne et où les principes contiennent la raison des conséquences. Là encore, la vérité est l’intelligibilité, la rationalité intrinsèque, à laquelle l’expérience même est suspendue et sans laquelle l’expérience serait impossible. Quant à nos besoins pratiques, ils n’ont le droit de cité, en philosophie, que quand ils sont des besoins moraux, c’est-à-dire exprimant la direction essentielle de notre raison et de notre volonté, indépendamment de tout plaisir ou besoin. Mais alors on revient au point de vue de Kant, qui domine le point de vue pragmatiste de toute la hauteur du moral par rapport à l’ « utile » et au « commode. »


L’intuitionnisme contemporain, bien qu’opposé en un sens au pragmatisme, procède, comme lui, d’une réaction contre l’intellectualisme. On sait avec quelle force le romantisme allemand réagit avec Jacobi contre le rationalisme exclusif du XVIIIe siècle, en opposant le sentiment au raisonnement, la vie à la pensée.

Selon Schopenhauer, toute connaissance a pour objet ce qui est soumis à la causalité dans le temps et dans l’espace, ce qui est pensable et intelligible : la pensée, ayant pour objet la pensée même, est réduite à se repaître de ses propres abstractions qu’elle décore du nom de réalité. Il y a pourtant un moyen, un seul, de pénétrer par delà cette forme extérieure de la réalité, jusqu’à cette « chose en soi » que Kant nous interdit, dont Schelling et Hegel ne nous montrent que l’ombre. C’est au sentiment immédiat, à l’intuition qu’il appartient de nous révéler le fond même de l’existence universelle. Or, ce que l’intuition découvre sans intermédiaire, par une sorte de rentrée en soi, c’est la volonté, non une volonté pensée, mais une volonté en acte, une volonté sentie. Cette volonté, qui