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passé, conserve éternellement ce caractère d’avoir existé, et ne peut plus en être dépouillé par aucune puissance humaine ou surhumaine. Affirmer un fait, n’eût-il que la durée d’un instant, c’est l’élever à la dignité de quelque chose qui, d’une certaine manière, existe à jamais pour toute intelligence. Ainsi la pensée,. en déclarant le réel universellement affirmable, éternise le fait qui passe et change l’éclair disparu en un jour sans fin.

L’objectivité plus qu’humaine du vrai n’empêche pas la découverte du vrai d’être un résultat de tout l’effort humain. On a dit excellemment, à propos de William James, que, pour la théorie courante, la vérité est une découverte, pour le pragmatisme, une invention. Mais par là, selon nous, on ne fait que mettre en évidence la confusion pragmatiste de la vérité avec la connaissance. C’est de la connaissance qu’on a toujours dit qu’elle est une découverte, quand elle est vraie, c’est-à-dire en concordance active avec le réel. Ce n’est pas à dire que la connaissance, par un autre côté, ne soit pas invention, en ce sens qu’elle est un effort de l’intelligence pour reconstruire le réel dans l’esprit, pour inventer des hypothèses qui soient en une concordance plus ou moins approximative avec le réel, qui nous le fassent toucher dans la mesure où elles expriment des rapports réels. Toute découverte non fortuite présuppose une invention : toute idée est active et est un produit d’activité. Mais toute invention n’a de valeur que si elle aboutit à une découverte.

Nous ne saurions donc accepter l’antithèse établie par le pragmatisme entre découvrir et inventer. Une pure invention est chimérique ; une pure découverte, qui serait absolument passive, est impossible dans le domaine de la science. L’Amérique a pu être d’abord une invention de Colomb, mais elle est ensuite devenue une découverte ; il faut convenir que, même avant Colomb et son invention, il était vrai qu’elle existait. La vérité de la mort de Socrate n’est pas une invention ; la vérité de notre mort future n’est pas une invention et, quoique cette vérité ne soit pas logée d’avance dans « une cachette » où nous la découvririons en mourant, il n’en est pas moins vrai, dès maintenant, c’est-à-dire affirmable et intelligible pour toute intelligence, que la mort arrivera pour nous, comme pour tous.

Les pragmatistes reprochent à la philosophie qui les a précédés de poursuivre des vérités qui regardent en arrière, au lieu de vérités qui regardent en avant et portent sur ce qui sera.