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réfractaire et irréductible au type que vous aurez choisi. Dès lors, au lieu d’unité, vous aurez une dualité entièrement inexpliquée et inexplicable. Le problème de l’existence restera sans solution. Vous direz : il y a la matière et il y a la conscience, sans pouvoir ramener la conscience à la matière, et sans essayer de ramener la matière au type de l’existence consciente. C’est là une solution évasive, un refus de solution.

Nous n’avons sans doute pas le droit, dans notre représentation de l’univers, de substituer purement et simplement la partie au tout ; mais il faut, néanmoins, que nous nous représentions incomplètement le tout d’après les parties que nous en connaissons. Alors se pose le problème : Quelle partie faut-il prendre de préférence comme spécimen ? Est-ce la plus pauvre en élémens ou la plus riche ? Là où il y a une plus grande variété réduite à une plus grande unité, avons-nous plus de chance d’entrevoir le secret du tout ? L’homme, par exemple, est-il un meilleur fragment de miroir pour l’univers qu’un des grains de poussière qui flottent dans l’air ambiant ? La vie consciente de l’homme a-t-elle chance d’envelopper un plus grand nombre des élémens du tout que l’existence pauvre et monotone du minéral ? Sont-ce les élémens figurables dans l’espace, auxquels aboutit par l’analyse la science humaine, qui constituent la réalité vraie, ou sont-ce les touts concrets, agissans et vivans, que nous appréhendons dans notre conscience ? Par exemple, ce qui est réel, est-ce de souffrir et de pleurer sur la mort d’un être chéri, d’avoir la conscience remplie de l’image aimée, de tous les souvenirs qu’elle éveille et, en même temps, d’être privé, à jamais de la voir et d’entendre sa voix ? Est-ce de se sentir mutilé, appauvri, souffrant, malheureux ? Est-ce tout cela qui est réel, ou est-ce le tourbillonnement de corpuscules insensibles dans lesquels le scalpel de l’entendement anatomise notre cerveau, nos organes, le monde même qui nous entoure ? That is the question. Où est l’apparence, où est la réalité ? Pour nous, nous disons : Je souffre, donc ma souffrance est réelle, donc je suis réel en tant que souffrant ; c’est ma conscience de souffrir qui, dans ce cas particulier, me révèle la réalité en la constituant pour sa part et en se révélant ainsi comme réelle. C’est donc dans la conscience qu’il faut descendre pour trouver ce qui est.